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Arrêt
publié le 15 juillet 2016

Extrait de l'arrêt n° 72/2016 du 25 mai 2016 Numéro du rôle : 6145 En cause : le recours en annulation des articles 2 et 3 de la loi du 22 mai 2014 « tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 t La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges L. (...)

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Extrait de l'arrêt n° 72/2016 du 25 mai 2016 Numéro du rôle : 6145 En cause : le recours en annulation des articles 2 et 3 de la loi du 22 mai 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/05/2014 pub. 24/07/2014 numac 2014000586 source service public federal interieur et institut pour l'egalite des femmes et des hommes Loi tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination type loi prom. 22/05/2014 pub. 14/04/2015 numac 2015000179 source service public federal interieur Loi tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination. - Traduction allemande fermer « tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination », introduit par le « Parti Libertarien » et autres.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 20 janvier 2015 et parvenue au greffe le 21 janvier 2015, un recours en annulation des articles 2 et 3 de la loi du 22 mai 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/05/2014 pub. 24/07/2014 numac 2014000586 source service public federal interieur et institut pour l'egalite des femmes et des hommes Loi tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination type loi prom. 22/05/2014 pub. 14/04/2015 numac 2015000179 source service public federal interieur Loi tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination. - Traduction allemande fermer « tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination » (publiée au Moniteur belge du 24 juillet 2014) a été introduit par le « Parti Libertarien », Feyrouze Omrani et Patrick Smets, assistés et représentés par Me R. Fonteyn, avocat au barreau de Bruxelles. (...) II. En droit (...) Quant aux dispositions attaquées B.1.1. Les parties requérantes demandent l'annulation des articles 2 et 3 de la loi du 22 mai 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/05/2014 pub. 24/07/2014 numac 2014000586 source service public federal interieur et institut pour l'egalite des femmes et des hommes Loi tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination type loi prom. 22/05/2014 pub. 14/04/2015 numac 2015000179 source service public federal interieur Loi tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination. - Traduction allemande fermer tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination, qui disposent : «

Art. 2.Pour l'application de la présente loi, le sexisme s'entend de tout geste ou comportement qui, dans les circonstances visées à l'article 444 du Code pénal, a manifestement pour objet d'exprimer un mépris à l'égard d'une personne, en raison de son appartenance sexuelle, ou de la considérer, pour la même raison, comme inférieure ou comme réduite essentiellement à sa dimension sexuelle et qui entraîne une atteinte grave à sa dignité.

Art. 3.Est puni d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de cinquante euros à mille euros, ou de l'une de ces peines seulement, quiconque, adopte un comportement visé à l'article 2 ».

B.1.2. La loi attaquée a « pour objectif de renforcer l'arsenal juridique existant en développant les instruments de lutte contre les phénomènes sexistes » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3297/001, p. 3).

L'exposé des motifs indique : « Force est en effet de constater que les problèmes sexistes ne sont pas encore reconnus comme un phénomène général à part entière, que la garde a baissé, que l' ' inconscient collectif ' admet encore aujourd'hui la pérennisation des stéréotypes hommes femmes.

Le sexisme n'est pas l'apanage des quartiers défavorisés ou d'une communauté particulière, mais est omniprésent. Les témoignages de résignation face à un phénomène trop répandu sont trop nombreux, et on ne peut admettre dans un Etat de droit démocratique, que la simple appartenance à un sexe soit génératrice de comportements attentatoires à la dignité humaine de la personne.

Certes, une prise de conscience s'opère progressivement et aujourd'hui le droit européen et [le droit] belge luttent contre les discriminations entre les hommes et les femmes dans certains secteurs précis. Pourtant, aujourd'hui encore la liberté d'aller et de venir peut être entravée par des comportements sexistes, de même que le droit au respect à la dignité humaine, alors même que le Constituant proclame, en son article 11bis ' la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent aux femmes et aux hommes l'égal exercice de leurs droits et libertés ' » (ibid.). « Les auteurs de ce projet entendent [...] affirmer le droit à la dignité humaine de chaque personne, en tant que relevant d'un genre » (ibid., p. 4).

En commission de la Chambre, la ministre de l'Egalité des chances a indiqué : « Le présent projet trouve son fondement dans l'article 11bis de la Constitution, qui proclame que le législateur se doit de garantir l'égalité des sexes dans l'exercice des droits et libertés » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3297/003, p. 3).

Quant à la recevabilité du recours B.2.1. La première partie requérante est le « Parti Libertarien ». Le Conseil des ministres considère que cette partie ne dispose pas de la capacité à agir en annulation devant la Cour, dès lors qu'il n'est pas contesté qu'il s'agit d'une association de fait.

B.2.2. Aux termes de l'article 2, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, la partie requérante devant la Cour doit être une personne physique ou morale justifiant d'un intérêt. Les partis politiques qui sont des associations de fait n'ont pas, en principe, la capacité requise pour introduire un recours devant la Cour.

Il n'en va autrement que lorsqu'ils agissent dans des matières pour lesquelles ils sont légalement reconnus comme formant des entités distinctes et que, alors que leur intervention est légalement reconnue, certains aspects de celle-ci sont en cause.

B.2.3. Tel n'est pas le cas en l'espèce. Le recours est irrecevable en ce qu'il est introduit par le « Parti Libertarien ».

B.3.1. Les deuxième et troisième parties requérantes sont des personnes physiques qui exposent qu'elles sont, comme tout citoyen, susceptibles d'être poursuivies sur la base des dispositions attaquées.

B.3.2. Le Conseil des ministres conteste l'intérêt à agir de ces parties requérantes. Il estime que leur intérêt ne se distingue pas de l'intérêt qu'a toute personne au respect de la Constitution, de sorte que le recours s'apparenterait à une action populaire.

B.3.3. L'article 142 de la Constitution et l'article 2, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle requièrent que toute personne physique qui introduit un recours en annulation justifie d'un intérêt. Ne justifient de l'intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée. Il s'ensuit que l'action populaire n'est pas admissible.

Des dispositions qui prévoient une peine privative de liberté touchent à un aspect à ce point essentiel de la liberté du citoyen qu'elles n'intéressent pas que les seules personnes qui font ou ont fait l'objet d'une procédure répressive.

B.3.4. Le recours est recevable dans le chef des deuxième et troisième parties requérantes.

Quant au fond En ce qui concerne le principe de légalité en matière pénale (premier moyen) B.4.1. Les parties requérantes prennent un premier moyen de la violation, par les articles 2 et 3 de la loi du 22 mai 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/05/2014 pub. 24/07/2014 numac 2014000586 source service public federal interieur et institut pour l'egalite des femmes et des hommes Loi tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination type loi prom. 22/05/2014 pub. 14/04/2015 numac 2015000179 source service public federal interieur Loi tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination. - Traduction allemande fermer, des articles 10, 11, 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec les principes généraux de légalité, de sécurité juridique et d'exigence de prévisibilité de la loi pénale.

Elles font grief au législateur de n'avoir pas défini l'infraction, à l'article 2 attaqué, en des termes suffisamment précis et clairs.

Le principe de légalité en matière pénale est exprimé, non pas à l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, mais bien à l'article 7 de cette Convention.

B.4.2. L'article 12, alinéa 2, de la Constitution, dispose : « Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu'elle prescrit. » L'article 7.1 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. » B.5.1. Le principe de légalité en matière pénale procède de l'idée que la loi pénale doit être formulée en des termes qui permettent à chacun de savoir, au moment où il adopte un comportement, si celui-ci est ou non punissable. Il exige que le législateur indique, en des termes suffisamment précis, clairs et offrant la sécurité juridique, quels faits sont sanctionnés, afin, d'une part, que celui qui adopte un comportement puisse évaluer préalablement, de manière satisfaisante, quelle sera la conséquence pénale de ce comportement et afin, d'autre part, que ne soit pas laissé au juge un trop grand pouvoir d'appréciation.

Toutefois, le principe de légalité en matière pénale n'empêche pas que la loi attribue un pouvoir d'appréciation au juge. Il faut en effet tenir compte du caractère de généralité des lois, de la diversité des situations auxquelles elles s'appliquent et de l'évolution des comportements qu'elles répriment.

B.5.2. La condition qu'une infraction doit être clairement définie par la loi se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l'aide de son interprétation par les juridictions, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale.

Ce n'est qu'en examinant une disposition pénale spécifique qu'il est possible, en tenant compte des éléments propres aux infractions qu'elle entend réprimer, de déterminer si les termes généraux utilisés par le législateur sont à ce point vagues qu'ils méconnaîtraient le principe de légalité en matière pénale.

B.6. La Cour européenne des droits de l'homme a jugé au sujet de l'article 7 de la Convention : « Il s'ensuit que la loi doit définir clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente, au besoin à l'aide de l'interprétation qui en est donnée par les tribunaux et le cas échéant après avoir recouru à des conseils éclairés, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale et quelle peine il encourt de ce chef [...].

En raison même du caractère général des lois, le libellé de celles-ci ne peut pas présenter une précision absolue. L'une des techniques-types de réglementation consiste à recourir à des catégories générales plutôt qu'à des listes exhaustives. Aussi beaucoup de lois se servent-elles, par la force des choses, de formules plus ou moins vagues dont l'interprétation et l'application dépendent de la pratique [...]. Dès lors, dans quelque système juridique que ce soit, aussi clair que le libellé d'une disposition légale puisse être, y compris une disposition de droit pénal, il existe inévitablement un élément d'interprétation judiciaire. Il faudra toujours élucider les points douteux et s'adapter aux changements de situation. En outre, la certitude, bien que hautement souhaitable, s'accompagne parfois d'une rigidité excessive; or, le droit doit savoir s'adapter aux changements de situation [...].

La fonction de décision confiée aux juridictions sert précisément à dissiper les doutes qui pourraient subsister quant à l'interprétation des normes [...] » (CEDH, grande chambre, 21 octobre 2013, Rio del Prada c. Espagne, §§ 79 et 92-93).

B.7. Les griefs des parties requérantes portent sur plusieurs termes ou expressions sur lesquels repose la définition du sexisme établie par l'article 2 attaqué et qui seraient source d'imprévisibilité et, par conséquent, d'insécurité juridique en ce qu'ils laisseraient au juge pénal une trop grande latitude d'interprétation.

Les différences rédactionnelles entre les versions française et néerlandaise de la loi B.8.1. L'article 3 de la loi attaquée punit quiconque adopte un comportement visé à l'article 2 de la même loi. Cet article entend réprimer le sexisme et définit celui-ci comme étant tout « geste ou comportement » répondant à la définition qu'il établit. La version néerlandaise utilise le terme « gedrag » à l'article 3 et les termes « gebaar of handeling » à l'article 2.

B.8.2. Contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, la version française n'exclut pas le geste sexiste de la définition des actes répréhensibles, dès lors que la notion de « comportement » d'un individu, en son sens courant, comprend également les gestes posés par lui. De la seule circonstance que l'article 2 attaqué utilise, en sa version française, l'expression « geste ou comportement » et l'article 3 le terme « comportement », il ne saurait être déduit que le législateur a entendu s'écarter du sens courant du mot « comportement » et en exclure les « gestes ». Cette interprétation est du reste confirmée par l'exposé des motifs : « La définition retenue requiert un ' geste, comportement ' [...].

L'acte peut s'exprimer par une attitude verbale ou gestuelle. [...] En effet, le terme ' comportement ' peut recouvrir des réalités significativement différentes » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3297/001, p. 7).

B.9.1. Il ne saurait pas non plus être déduit de la circonstance que le texte français de l'article 2 utilise l'expression « en raison de son appartenance sexuelle » alors que le texte néerlandais contient l'expression « wegens zijn geslacht » que les deux textes devraient être compris comme créant des incriminations différentes.

B.9.2. Il ressort en effet clairement de l'exposé des motifs que le législateur a jugé qu'il lui appartenait de « revitaliser le droit au respect d'une personne, en tant qu'elle appartient à l'un ou l'autre sexe » (ibid., p. 4). Il doit en être déduit que l'expression « en raison de son appartenance sexuelle » est synonyme de l'expression « en raison de son sexe » et équivalente à l'expression néerlandophone « wegens zijn geslacht ». L'infraction créée par la loi attaquée vise donc les gestes ou comportements ayant manifestement pour objet d'exprimer un mépris à l'égard d'une personne, en raison du fait qu'elle est une femme ou un homme, ou de la considérer, pour la même raison, comme inférieure ou comme réduite essentiellement à sa dimension sexuelle.

B.10.1. Les parties requérantes relèvent enfin que le mot « essentiellement », utilisé dans le texte français de l'article 2 attaqué, n'a pas d'équivalent dans le texte néerlandais.

B.10.2. Dans la mesure où cette discordance entre les versions française et néerlandaise de la disposition pourrait créer une difficulté d'interprétation contraire au principe de légalité en matière pénale, il convient d'annuler ce mot dans la version française de l'article 2 attaqué.

L'atteinte grave à la dignité de la personne visée B.11.1. L'article 2 attaqué indique clairement que l'infraction n'est réalisée que si le geste ou le comportement entraîne une atteinte grave à la dignité de la personne visée, que ce soit dans le cas d'un geste ou d'un comportement exprimant le mépris à l'égard d'une personne, d'un geste ou d'un comportement exprimant la volonté de son auteur de la considérer comme inférieure ou encore d'un geste ou d'un comportement la réduisant à sa dimension sexuelle. Contrairement à ce qu'affirment les parties requérantes, le texte est dépourvu d'ambiguïté à cet égard. Le comportement ou le geste incriminé doit, dans tous les cas, avoir eu pour conséquence, pour être punissable en vertu de la loi attaquée, de porter gravement atteinte à la dignité de la victime.

B.11.2. Les parties requérantes font grief au législateur de ne pas avoir précisé si, par l'expression « et qui entraîne une atteinte grave à sa dignité », il faut entendre uniquement les comportements dont la personne concernée serait la victime, ou s'il faut également comprendre les comportements qu'elle autoriserait à son égard ou dont elle serait elle-même l'auteur, ce qui serait, d'après elles, source d'imprévisibilité contraire au principe de légalité en matière pénale.

B.11.3. La notion d'atteinte à la dignité de la personne ou à la dignité humaine est une notion qui a déjà été utilisée tant par le Constituant (article 23 de la Constitution) et le législateur (articles 136quater, 433quinquies et 433decies du Code pénal; articles 1675/3, alinéa 3, 1675/10, § 4, alinéa 1er, 1675/12, § 2, alinéa 1er, et 1675/13, § 6, du Code judiciaire; article 2 de la loi du 2 juin 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 02/06/1998 pub. 25/11/1998 numac 1998009893 source ministere de la justice Loi portant création d'un Centre d'information et d'avis sur les organisations sectaires nuisibles et d'une Cellule administrative de coordination de la lutte contre les organisations sectaires nuisibles type loi prom. 02/06/1998 pub. 06/05/2013 numac 2013000300 source service public federal interieur Loi portant création d'un Centre d'information et d'avis sur les organisations sectaires nuisibles et d'une Cellule administrative de coordination de la lutte contre les organisations sectaires nuisibles. - Coordination officieuse en langue allemande fermer portant création d'un Centre d'Information et d'Avis sur les organisations sectaires nuisibles et d'une Cellule administrative de Coordination de la lutte contre les organisations sectaires nuisibles; article 5 de la loi du 12 janvier 2005Documents pertinents retrouvés type loi prom. 12/01/2005 pub. 01/02/2005 numac 2005009033 source service public federal justice Loi de principes concernant l'administration des établissements pénitentiaires ainsi que le statut juridique des détenus fermer de principes concernant l'administration des établissements pénitentiaires ainsi que le statut juridique des détenus; article 3 de la loi du 12 janvier 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 12/01/2007 pub. 07/05/2007 numac 2007002066 source service public federal de programmation integration sociale, lutte contre la pauvrete et economie sociale Loi sur l'accueil des demandeurs d'asile et de certaines autres catégories d'étrangers type loi prom. 12/01/2007 pub. 19/10/2007 numac 2007000860 source service public federal interieur Loi sur l'accueil des demandeurs d'asile et de certaines autres catégories d'étrangers fermer sur l'accueil des demandeurs d'asile et de certaines autres catégories d'étrangers) que par la jurisprudence (voy. Cass., 23 mars 2004, Pas., 2004, n° 165, et 8 novembre 2005, Pas., 2005, n° 576).

B.11.4. Par ailleurs, la notion d'atteinte grave à la dignité humaine d'une personne ne saurait recevoir un contenu différent suivant les appréciations personnelles et subjectives de la victime du comportement. L'absence de consentement de la victime n'est en effet pas un élément constitutif de l'infraction créée par les dispositions attaquées. Il appartient au juge saisi de déterminer, en tenant compte des circonstances concrètes dans lesquelles le geste ou le comportement a été posé, si les éléments constitutifs de l'infraction, en ce compris les conséquences en termes d'atteinte grave à la dignité de la personne concernée, sont réunis.

Il en découle que le consentement éventuel de la victime du comportement ou du geste incriminé, s'il peut être pris en considération par le juge appelé à déterminer si ce geste ou ce comportement a entraîné une atteinte grave à sa dignité et, le cas échéant, à fixer une peine, ne saurait, à lui seul, exclure la responsabilité pénale de l'auteur du geste ou du comportement.

B.11.5. Enfin, il se déduit de la formulation de l'infraction comme visant « tout geste ou comportement [...] à l'égard d'une personne » qu'elle ne saurait viser les gestes ou comportements d'une personne vis-à-vis d'elle-même. Dès lors que la disposition attaquée est dépourvue d'ambiguïté à cet égard, il ne saurait être reproché au législateur de n'avoir pas expressément exclu les hypothèses dans lesquelles une personne adopterait un geste ou un comportement qui entraînerait une atteinte grave à sa propre dignité.

B.11.6. Il se déduit de ce qui précède que la condition suivant laquelle le geste ou le comportement visé par l'article 2 attaqué, pour être pénalement répréhensible, doit avoir entraîné une atteinte grave à la dignité humaine de la personne visée est suffisamment précise, claire et prévisible.

Le fait de considérer l'infériorité d'une personne B.12.1. Les parties requérantes font grief au législateur de n'avoir pas précisé, dans l'article 2 attaqué, ce qu'il fallait entendre par les mots « considérer [une personne] comme inférieure ». Elles estiment qu'un geste ou un comportement ne peut « considérer » et ajoutent que l'infériorisation renvoie à une construction idéologique sous couvert de laquelle l'opinion de ceux qui défendent une répartition traditionnelle des sexes serait pénalisée.

B.12.2. Le texte de l'article 2 attaqué ne peut se comprendre que comme visant à réprimer tout geste ou comportement qui exprime la volonté de son auteur de considérer une personne comme inférieure en raison de son sexe. L'utilisation du mot « considérer » ne crée aucune ambiguïté à cet égard.

B.12.3. Par ailleurs, il ressort clairement de l'exposé des motifs que l'intention du législateur est de réserver la répression pénale « aux cas de sexisme les plus graves », dans lesquels le comportement a « un effet dégradant » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3297/001, p. 7). C'est pourquoi l'infraction n'est réalisée que lorsque le geste ou le comportement entraîne une atteinte grave à la dignité de la personne visée.

En outre, le geste ou le comportement incriminé doit viser une ou plusieurs personnes déterminées, et non les membres de l'un ou l'autre sexe de manière indéfinie. Il s'en déduit que la simple expression d'opinions relatives à la place ou au rôle respectifs des sexes dans la société ne saurait être constitutive de l'infraction visée par l'article 2 attaqué.

L'expression d'un mépris à l'égard d'une personne B.13. La notion de « mépris » a déjà été utilisée par le législateur pénal. Les articles 377bis, 405quater, 422quater, 438bis, 442ter, 453bis, 514bis, 525bis, 532bis et 534quater du Code pénal prévoient une aggravation des peines encourues pour les délits et crimes qu'ils visent lorsqu'un des mobiles en est « la haine, le mépris ou l'hostilité » à l'égard de la victime en raison de différents critères énumérés par ces dispositions.

Concernant l'infraction créée par la disposition attaquée, rien n'indique que le législateur ait entendu s'écarter du sens commun du mot « mépris ». L'exposé des motifs indique à ce sujet que cette notion vise « des hypothèses où une personne est considérée comme indigne d'estime ou moralement condamnable » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3297/001, p. 7). L'expression « a manifestement pour objet d'exprimer un mépris à l'égard d'une personne » a un contenu normatif suffisamment clair et précis pour définir une infraction pénale.

La réduction d'une personne à sa dimension sexuelle B.14. Enfin, l'infraction qui consiste en l'adoption d'un comportement ou d'un geste qui a manifestement pour objet de réduire une personne à sa dimension sexuelle est également définie de manière suffisamment précise au regard du principe de légalité en matière pénale, dès lors qu'il est requis que le comportement entraîne une atteinte grave à la dignité de la personne visée.

B.15.1. Pour le surplus, même s'il fallait considérer que les termes qui font l'objet des critiques des parties requérantes, chacun pris isolément, n'ont pas une portée ou un contenu suffisamment précis, l'exigence, qui est un élément constitutif de l'infraction, suivant laquelle les comportements et gestes incriminés doivent avoir entraîné une atteinte grave à la dignité de la personne donne aux juridictions suffisamment d'indications quant au champ d'application de la loi attaquée. Il est inhérent à la mission du juge répressif de juger de la gravité d'un comportement et de déterminer en conséquence si celui-ci entre dans le champ d'application de la loi pénale ou pas. En réservant la répression pénale aux gestes ou comportements ayant entraîné une atteinte grave à la dignité de la personne, le législateur a satisfait aux exigences du principe de légalité en matière pénale.

B.15.2. Sous réserve de ce qui est dit en B.10.2, au sujet du mot « essentiellement » qui doit être annulé dans la version française de l'article 2 attaqué, le premier moyen n'est pas fondé.

En ce qui concerne la liberté d'expression (deuxième moyen) B.16.1. Les parties requérantes prennent un deuxième moyen de la violation de l'article 19 de la Constitution, lu isolément ou en combinaison avec les articles 9 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec les articles 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elles font grief aux articles 2 et 3 de la loi attaquée de porter atteinte au droit à la liberté d'expression garanti par ces dispositions.

B.16.2. L'article 19 de la Constitution dispose : « La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties, sauf la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés ».

B.16.3. L'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». L'article 10 de la même Convention dispose : « 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations. 2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ». B.16.4. L'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose : « 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu'en privé, par le culte et l'accomplissement des rites, les pratiques et l'enseignement. 2. Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix.3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d'autrui.4. Les Etats parties au présent Pacte s'engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux de faire assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions ». L'article 19 du même Pacte dispose : « 1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions. 2. Toute personne a droit à la liberté d'expression;ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix. 3. L'exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales.Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires : a) Au respect des droits ou de la réputation d'autrui;b) A la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques ». B.17.1. En ce qu'ils reconnaissent le droit à la liberté d'expression, les articles 9 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et les articles 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ont une portée analogue à celle de l'article 19 de la Constitution, qui reconnaît la liberté de manifester ses opinions en toute matière.

Dès lors, les garanties fournies par ces dispositions forment, dans cette mesure, un ensemble indissociable.

B.17.2. La liberté d'expression consacrée par ces articles constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique. Elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui « choquent, inquiètent ou heurtent » l'Etat ou une fraction de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas de société démocratique (CEDH, 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume-Uni, § 49, 23 septembre 1998, Lehideux et Isorni c. France, § 55, et 28 septembre 1999, Öztürk c. Turquie, § 64; grande chambre, 13 juillet 2012, Mouvement Raëlien suisse c. Suisse, § 48).

B.17.3. Ainsi qu'il ressort des termes de l'article 10.2 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'exercice de la liberté d'expression implique néanmoins certaines obligations et responsabilités (CEDH, 4 décembre 2003, Gündüz c. Turquie, § 37), notamment le devoir de principe de ne pas franchir certaines limites « tenant notamment à la protection de la réputation et aux droits d'autrui » (CEDH, 24 février 1997, De Haes et Gijsels c. Belgique, § 37; CEDH, 21 janvier 1999, Fressoz et Roire c. France, § 45; CEDH, 15 juillet 2003, Ernst e.a. c. Belgique, § 92). La liberté d'expression peut, en vertu de l'article 10.2 de la Convention européenne des droits de l'homme, être soumise, sous certaines conditions, à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, en vue, notamment, de la protection de la réputation ou des droits d'autrui.

Les exceptions dont elle est assortie appellent toutefois « une interprétation étroite, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante » (CEDH, grande chambre, 20 octobre 2015, Pentikäinen c. Finlande, § 87).

L'article 19 de la Constitution interdit que la liberté d'expression soit soumise à des restrictions préventives, mais non que les infractions qui sont commises à l'occasion de la mise en oeuvre de cette liberté soient sanctionnées.

B.18.1. En érigeant en infraction l'expression, notamment verbale ou écrite, d'un mépris à l'égard d'une personne ou l'expression du fait de la considérer comme inférieure ou comme réduite à sa dimension sexuelle, l'article 2 de la loi du 22 mai 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/05/2014 pub. 24/07/2014 numac 2014000586 source service public federal interieur et institut pour l'egalite des femmes et des hommes Loi tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination type loi prom. 22/05/2014 pub. 14/04/2015 numac 2015000179 source service public federal interieur Loi tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination. - Traduction allemande fermer attaquée constitue une ingérence dans le droit à la liberté d'expression.

B.18.2. Il y a dès lors lieu d'examiner si cette ingérence est prévue par une loi suffisamment accessible et précise, est nécessaire dans une société démocratique, répond à un besoin social impérieux et est proportionnée par rapport aux buts légitimes poursuivis par le législateur.

B.19. Il ressort de ce qui est dit en réponse au premier moyen que l'ingérence dans la liberté d'expression est prévue par une loi suffisamment accessible et précise.

B.20.1. La loi attaquée procède de la volonté du législateur de garantir l'égalité des hommes et des femmes. Ainsi, la ministre compétente a exposé au cours des travaux préparatoires : « Le présent projet trouve son fondement dans l'article 11bis de la Constitution, qui proclame que le législateur se doit de garantir l'égalité des sexes dans l'exercice des droits et libertés » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3297/003, p. 3).

Le sexisme érigé en infraction est entendu comme un ensemble de comportements « attentatoires à la dignité humaine de la personne » à cause de sa « simple appartenance à un sexe »; il s'agit « du mépris envers un sexe, de la croyance fondamentale en l'infériorité intrinsèque d'un sexe » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3297/001, pp. 3-4). L'adoption de la loi attaquée a été conçue comme « un signal clair pour lutter contre la résignation des victimes et l'impunité des auteurs » (ibid., p. 4).

B.20.2. L'égalité des femmes et des hommes est une valeur fondamentale de la société démocratique, protégée par l'article 11bis de la Constitution, par l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et par divers instruments internationaux, tels que, notamment, la Convention des Nations-Unies du 18 décembre 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Plus spécifiquement, la lutte contre les violences en raison du sexe constitue une préoccupation actuelle aussi bien de l'Union européenne (adoption par la Commission européenne de la Charte des femmes, le 5 mars 2010) que du Conseil de l'Europe (Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique du 11 mai 2011).

Les objectifs poursuivis par les dispositions attaquées, qui participent de la volonté du législateur de garantir cette valeur, sont légitimes et figurent parmi ceux, énumérés aux articles 9 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui peuvent justifier une ingérence dans les droits fondamentaux protégés par ces articles, dès lors qu'ils relèvent tout à la fois de la protection des droits d'autrui, de la défense de l'ordre et de l'affirmation d'une des valeurs fondamentales de la démocratie.

B.21.1. Il est apparu au législateur qu'il était indispensable de renforcer la lutte contre le sexisme, qu'il jugeait « omniprésent », le qualifiant de « phénomène trop répandu » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3297/001, p. 3).

Lors des discussions en commission de la Chambre, la ministre de l'Egalité des chances a également constaté que « le sexisme n'est pas encore reconnu socialement comme condamnable » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3297/003, p. 5).

B.21.2. Eu égard à ces considérations, le législateur a pu estimer que l'adoption des dispositions attaquées était nécessaire pour atteindre l'objectif d'égalité des hommes et des femmes dans l'exercice de leurs droits et libertés que l'article 11bis de la Constitution lui impose de garantir.

B.22.1. Les parties requérantes estiment que les dispositions attaquées ne seraient pas efficaces en vue d'atteindre les objectifs précités, et spécifiquement celui de lutter contre l'impunité des auteurs de comportements sexistes, dans la mesure où elles seraient impraticables et ne seront donc pas appliquées par les juridictions pénales.

B.22.2. Outre que cet argument repose sur des conjectures impossibles à vérifier, l'efficacité d'une loi pénale, mesurée à l'aune de son application par les juridictions et des condamnations prononcées, ne constitue pas en soi une condition de sa compatibilité avec les dispositions constitutionnelles et conventionnelles citées au moyen.

L'affirmation du caractère infractionnel d'un comportement, parce qu'il est jugé par le législateur incompatible avec les valeurs fondamentales de la démocratie, peut aussi avoir un effet éducatif et préventif. La recherche de cet effet, par définition non mesurable objectivement, peut en principe justifier l'adoption de sanctions de nature pénale.

B.23.1. La Cour doit encore examiner si les dispositions attaquées, adoptées en vue de garantir le respect de l'interdiction des comportements sexistes, n'ont pas d'effets disproportionnés par rapport aux objectifs poursuivis.

B.23.2. Selon l'article 2 attaqué, le geste ou le comportement doit avoir « manifestement pour objet d'exprimer un mépris à l'égard d'une personne [...] ou de la considérer [...] comme inférieure [...] ». En outre, le geste ou le comportement doit avoir eu pour effet d'entraîner « une atteinte grave à la dignité » de celle-ci.

Il ressort tant des termes de la disposition attaquée que de ses travaux préparatoires qu'il s'agit d'une infraction intentionnelle et que le législateur a voulu limiter la répression aux cas les plus graves : « Pour ne pas donner une portée trop large et éviter les recours abusifs à la notion pénale de sexisme, il est important d'insister sur le cumul entre la volonté (le dol spécial, soit l'intention) de nuire et l'effet dégradant du comportement sexiste. En effet, le recours à l'action pénale doit être circonscrit aux cas de sexisme les plus graves, au contraire du système civil qui s'étend aux hypothèses où l'acte sanctionné est pourvu d'effets dégradants sans pour autant qu'il soit animé d'une réelle intention de nuire » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3297/001, p. 7). « Il faut une intention de nuire (dol) et cette volonté doit être ostensible et incontestable, ce qui requiert un certain niveau de gravité, soumis à l'appréciation du juge pénal » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3297/003, p. 4).

La combinaison des termes de cette disposition indique qu'elle exige l'intention d'exprimer un mépris à l'égard d'une personne ou de la considérer comme inférieure en sachant que le geste ou le comportement est susceptible d'entraîner une atteinte à la dignité de cette personne. En outre, pour être punissable, le geste ou le comportement doit avoir effectivement entraîné une telle atteinte grave.

Il ne peut donc s'agir d'une infraction dont l'existence serait présumée dès lors que les éléments matériels en sont réunis. Il appartient à la partie poursuivante de prouver l'existence du dol spécial requis.

B.23.3. L'emploi des termes « à l'égard d'une personne » dans l'article 2 attaqué indique que l'infraction n'est réalisée que lorsque l'expression en cause vise une ou plusieurs personnes déterminées. Ainsi, « l'incrimination ne vise pas les groupements pris abstraitement mais bien les comportements adressés à l'encontre d'une ou de plusieurs personnes déterminées en raison de leur appartenance à un genre » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3297/003, p. 5).

B.23.4. L'exigence, d'une part, d'un dol spécial et, d'autre part, que l'infraction ait eu pour conséquence d'avoir gravement porté atteinte à la dignité de personnes déterminées exclut que puissent être incriminés, en l'absence d'un tel élément intentionnel ou d'un tel effet à l'égard d'une personne déterminée, les pamphlets, les plaisanteries, les caricatures, les opinions et, singulièrement, les opinions relatives à la place et au rôle différents des personnes en fonction de leur sexe au sein de la société, les publicités et toute expression qui, faute du dol spécial requis, relève de la liberté d'expression.

B.24. Il résulte de ce qui précède que les dispositions attaquées sont raisonnablement proportionnées à l'objectif poursuivi et qu'en conséquence, l'ingérence dans le droit à la liberté d'expression garanti par l'article 19 de la Constitution et par les dispositions conventionnelles citées par le moyen est justifiée.

Sous réserve de l'interprétation mentionnée en B.23.2, le deuxième moyen n'est pas fondé.

En ce qui concerne l'égalité et la non-discrimination (troisième à cinquième moyens) B.25. Les parties requérantes prennent un troisième moyen de la violation, par les articles 2 et 3 de la loi du 22 mai 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/05/2014 pub. 24/07/2014 numac 2014000586 source service public federal interieur et institut pour l'egalite des femmes et des hommes Loi tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination type loi prom. 22/05/2014 pub. 14/04/2015 numac 2015000179 source service public federal interieur Loi tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination. - Traduction allemande fermer, des articles 10, 11 et 19 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec les articles 9, 10, 14 et 17 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec les articles 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Elles font grief aux dispositions attaquées de traiter de manière identique, sans justification objective et raisonnable, les auteurs de comportements incitant à la haine, à la ségrégation ou à la discrimination, d'une part, et les personnes exprimant des opinions sur les différences entre les sexes et sur leurs rôles sociaux respectifs sans inciter ni à la haine, ni à la ségrégation, ni à la discrimination, d'autre part. Elles citent en exemple d'opinions exprimées par les personnes appartenant à la deuxième catégorie, les idées développées par les tenants de certaines religions relativement à la place respective des hommes et des femmes dans la société.

B.26.1. Ainsi qu'il est précisé en B.23.4, l'infraction instituée par les dispositions attaquées n'est réalisée que lorsque le geste ou le comportement incriminé entraîne une atteinte grave à la dignité à l'égard de personnes déterminées. Il en résulte que l'expression d'opinions, en général, sur la place et le rôle des femmes et des hommes dans la société ne relève pas de l'application des articles 2 et 3 de la loi attaquée.

B.26.2. Le troisième moyen n'est pas fondé.

B.27.1. Les parties requérantes prennent un quatrième moyen de la violation, par les articles 2 et 3 de la loi du 22 mai 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/05/2014 pub. 24/07/2014 numac 2014000586 source service public federal interieur et institut pour l'egalite des femmes et des hommes Loi tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination type loi prom. 22/05/2014 pub. 14/04/2015 numac 2015000179 source service public federal interieur Loi tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination. - Traduction allemande fermer, des articles 10, 11, 19 et 25 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec les articles 9, 10 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec les articles 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Elles font grief aux dispositions attaquées, d'une part, de traiter de manière identique, sans justification objective et raisonnable, les auteurs ou victimes de conduites susceptibles de constituer des délits de presse et les auteurs ou victimes d'autres conduites et, d'autre part, de traiter de manière différente, sans justification objective et raisonnable, les auteurs de délits de presse sexistes et les auteurs d'autres délits de presse.

B.27.2. L'article 25 de la Constitution dispose : « La presse est libre; la censure ne pourra jamais être établie; il ne peut être exigé de cautionnement des écrivains, éditeurs ou imprimeurs.

Lorsque l'auteur est connu et domicilié en Belgique, l'éditeur, l'imprimeur ou le distributeur ne peut être poursuivi ».

B.28.1. Les différences de traitement entre les auteurs de délits, selon qu'ils sont commis par voie de presse ou par un autre moyen, découlent d'un choix posé par le Constituant. La Cour n'est pas compétente pour en connaître.

B.28.2. Pour le surplus, il ne saurait être reproché au législateur, lorsqu'il érige en infraction un comportement susceptible de constituer, dans certains cas, un délit de presse, de ne pas trancher les éventuelles controverses jurisprudentielles relatives à l'étendue de la notion de presse et, singulièrement, à la question de savoir si la diffusion d'écrits par la voie électronique relève de la protection de l'article 25 de la Constitution.

B.29. Le quatrième moyen n'est pas fondé.

B.30. Les parties requérantes prennent un cinquième moyen de la violation, par les articles 2 et 3 de la loi du 22 mai 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/05/2014 pub. 24/07/2014 numac 2014000586 source service public federal interieur et institut pour l'egalite des femmes et des hommes Loi tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination type loi prom. 22/05/2014 pub. 14/04/2015 numac 2015000179 source service public federal interieur Loi tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination. - Traduction allemande fermer, des articles 10 et 11 de la Constitution.

Elles font grief aux dispositions attaquées de traiter de manière identique, sans justification objective et raisonnable, les personnes affichant un mépris à l'égard des personnes de l'autre sexe suivant que ce mépris est exprimé de manière agressive, d'une part, ou par l'indifférence ou la mésestime, d'autre part.

B.31. Il revient aux juridictions appelées à appliquer la loi, lorsque l'ensemble des éléments constitutifs de l'infraction sont réunis, de déterminer la peine appropriée en tenant compte de la gravité des faits, du contexte et de la personnalité de l'auteur et de la victime.

Le comportement agressif ou violent de l'auteur de l'infraction est un élément qui peut être pris en considération par le juge à cet égard.

Dès lors que le juge dispose d'un choix entre les peines qu'il prononce, il ne saurait être reproché au législateur de n'avoir pas distingué, dans la loi elle-même, les hypothèses dans lesquelles l'auteur est agressif de celles dans lesquelles il ne l'est pas.

B.32. Le cinquième moyen n'est pas fondé.

En ce qui concerne le droit à l'auto-détermination déduit du droit au respect de la vie privée, le droit au travail et le droit au libre choix d'une activité professionnelle (sixième à neuvième moyens) B.33. Les parties requérantes prennent un sixième, un septième, un huitième et un neuvième moyen de la violation, par les articles 2 et 3 de la loi du 22 mai 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/05/2014 pub. 24/07/2014 numac 2014000586 source service public federal interieur et institut pour l'egalite des femmes et des hommes Loi tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination type loi prom. 22/05/2014 pub. 14/04/2015 numac 2015000179 source service public federal interieur Loi tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination. - Traduction allemande fermer, des articles 10, 11, 19, 22 et 23 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec les articles 8, 9, 10 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec les articles 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Elles font grief aux dispositions attaquées, interprétées comme autorisant la répression d'un comportement jugé attentatoire à la dignité d'une personne, alors que cette dernière a autorisé ce comportement ou qu'elle en est elle-même l'auteur, d'atteindre de manière déraisonnable au droit au respect de la vie privée, en ce qu'il inclut un droit à l'auto-détermination, au droit au travail et au droit au libre choix d'une activité professionnelle.

B.34.1. Comme il est dit en B.11.5, il se déduit de la formulation de l'infraction comme visant « tout geste ou comportement [...] à l'égard d'une personne » qu'elle ne saurait viser les gestes ou comportements d'une personne vis-à-vis d'elle-même.

Les dispositions attaquées ne peuvent donc, contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, être interprétées comme permettant la répression du fait pour une femme de porter un vêtement confessionnel tel qu'un voile ou un foulard.

B.34.2. Pour le même motif, les dispositions attaquées ne sauraient être interprétées comme autorisant la répression de la prostitution volontaire ou de la pornographie dans le chef de la personne qui s'adonne à ces activités.

B.35.1. En revanche, l'infraction de sexisme peut être commise à l'égard d'une personne, malgré le fait que cette personne ait consenti au geste ou au comportement, posé par un tiers, si ce geste ou ce comportement a pour conséquence de porter gravement atteinte à sa dignité. L'absence de consentement n'est, en effet, pas un élément constitutif de l'infraction. L'objectif poursuivi par le législateur n'est, au demeurant, pas uniquement de protéger les droits des victimes de gestes ou de comportements sexistes mais, également, de garantir l'égalité des femmes et des hommes, ce qui est une valeur fondamentale de la société dont la réalisation bénéficie à la totalité de ses membres et pas seulement aux victimes potentielles de sexisme.

B.35.2. A supposer que la pénalisation des gestes ou comportements sexistes par la loi attaquée puisse entraîner une atteinte au droit à la vie privée ou au droit au travail ou au libre choix d'une activité professionnelle de la victime, cette atteinte ne serait pas, pour les motifs exprimés en B.19 à B.24, sans justification raisonnable.

B.36. Les sixième, septième, huitième et neuvième moyens ne sont pas fondés.

Par ces motifs, la Cour - annule le mot « essentiellement » dans la version française de l'article 2 de la loi du 22 mai 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/05/2014 pub. 24/07/2014 numac 2014000586 source service public federal interieur et institut pour l'egalite des femmes et des hommes Loi tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination type loi prom. 22/05/2014 pub. 14/04/2015 numac 2015000179 source service public federal interieur Loi tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination. - Traduction allemande fermer « tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination »; - sous réserve de l'interprétation mentionnée en B.23.2, rejette le recours pour le surplus.

Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 25 mai 2016.

Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux J. Spreutels

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