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Arrêt
publié le 07 juillet 2017

Extrait de l'arrêt n° 45/2017 du 27 avril 2017 Numéro du rôle : 6360 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 9, alinéa 4, de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement, posée p La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges L. (...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 45/2017 du 27 avril 2017 Numéro du rôle : 6360 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 9, alinéa 4, de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement, posée par le Conseil d'Etat.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt n° 233.763 du 5 février 2016 en cause du chef du culte orthodoxe en Belgique contre la Communauté française, partie intervenante : C.D., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 18 février 2016, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « Interprété en ce sens que l'inspecteur de religion qui a perdu la confiance du chef du culte dont il relève doit être privé de la fonction dont il est titulaire sans que son employeur, la Communauté française, puis le Conseil d'Etat ne puissent exercer de contrôle quant aux motifs qui ont entraîné cette perte de confiance, l'article 9, alinéa 4, de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement viole-t-il les articles 10, 11 et 24 de la Constitution, combinés le cas échéant avec les articles 6, 13 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans la mesure où tant sur le plan administratif que juridictionnel, la disposition légale précitée soumet l'inspecteur de religion à un régime de cessation des fonctions qui est moins favorable que celui prévalant pour les autres catégories d'inspecteurs de l'enseignement de la Communauté française ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle porte sur l'article 9, alinéa 4, de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement (dite « loi sur le Pacte scolaire »), tel qu'il est applicable en Communauté française, qui dispose : « L'inspection des cours de religion dans les établissements d'enseignement de l'Etat est assurée par les délégués des chefs des cultes nommés par le Ministre de l'Instruction publique sur proposition des chefs des cultes intéressés ».

B.2. La Cour est interrogée sur la compatibilité, avec les articles 10, 11 et 24 de la Constitution, combinés ou non avec les articles 6, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, de cette disposition interprétée en ce sens que « l'inspecteur de religion qui a perdu la confiance du chef du culte dont il relève doit être privé de la fonction dont il est titulaire sans que son employeur, la Communauté française, puis le Conseil d'Etat, ne puissent exercer de contrôle quant aux motifs qui ont entraîné cette perte de confiance » : dans cette interprétation, l'inspecteur de religion serait soumis, tant sur le plan administratif que juridictionnel, à un régime de cessation des fonctions moins favorable que celui prévalant pour les autres catégories d'inspecteurs de l'enseignement de la Communauté française.

B.3.1. Le litige a quo concerne le recours dirigé contre le refus implicite de révoquer un inspecteur de religion orthodoxe nommé par la Communauté française dans l'enseignement fondamental et dans l'enseignement secondaire.

Cette demande de révocation, émanant du chef du culte orthodoxe à l'attention de la Communauté française, se fonde sur le fait que cet inspecteur de religion ne jouit plus de la confiance et de la reconnaissance du chef du culte, en raison de considérations qui, selon le chef du culte orthodoxe, ne seraient pas de nature disciplinaire, mais « liées à la sphère religieuse propre aux autorités cultuelles ».

B.3.2. Dans sa décision de renvoi, le Conseil d'Etat a jugé, en ce qui concerne la disposition en cause : « qu'il ressort de cette disposition légale, que c'est au chef du culte qu'il revient de choisir les personnes qui sont appelées à assurer l'inspection des cours de cette religion qui sont dispensés dans l'enseignement organisé par la Communauté française; que sans cette proposition, le Gouvernement de la Communauté française et les ministres qui ont l'enseignement dans leurs attributions ne peuvent procéder à aucune nomination en tant qu'inspecteur de religion; que ces principes qui régissent l'accession à cette fonction de promotion valent également pour le maintien dans celle-ci; que pour pouvoir continuer leur mission, ces inspecteurs doivent en effet conserver la reconnaissance du chef du culte lequel atteste ainsi qu'ils ont les capacités et les connaissances religieuses requises pour la fonction en cause; qu'une fois donnée, cette reconnaissance est censée valoir jusqu'à ce qu'elle soit explicitement retirée par le chef du culte lequel est seul habilité à apprécier le bien-fondé des motifs du retrait; qu'un éventuel contrôle de ces motifs buterait en grande partie sur les principes, consacrés par l'article 21 de la Constitution, de la séparation de l'Etat et de l'Eglise ainsi que de l'autonomie organisationnelle de chaque confession religieuse; que compte tenu de cette disposition constitutionnelle, il n'appartient ni au ministre qui a l'enseignement dans ses attributions, ni au Conseil d'Etat de contrôler les raisons pour lesquelles un organe [du] culte retire sa confiance à l'un de ses représentants; qu'ainsi interprété, l'article 9, alinéa 4, de la loi du 29 mai 1959 précitée soumet les inspecteurs des cours de religion à un régime de cessation des fonctions qui est moins favorable que celui prévalant pour les autres catégories d'inspecteurs de l'enseignement de la Communauté française ».

B.4. Il ressort dès lors de la formulation de la question préjudicielle et des motifs de la décision de renvoi que la Cour est invitée à examiner la différence de traitement, en ce qui concerne le régime de cessation des fonctions, tant sur le plan administratif que juridictionnel, entre les inspecteurs de religion et tous les autres inspecteurs de l'enseignement de la Communauté française si la disposition en cause est interprétée en ce sens que l'inspecteur de religion qui a perdu la confiance du chef du culte dont il relève doit être révoqué sans que la Communauté française, puis le Conseil d'Etat, puissent exercer un contrôle des motifs de cette perte de confiance et, partant, quels que soient ces motifs.

Quant à la compétence de la Cour B.5. Dans son mémoire en intervention, la partie requérante devant le juge a quo soulève l'incompétence de la Cour pour se prononcer sur la question préjudicielle, qui porterait sur un choix du Constituant, dès lors que la différence de traitement soulevée trouverait sa source non dans la disposition en cause, mais dans le principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat consacré à l'article 21 de la Constitution ou, à tout le moins, dans la disposition en cause combinée avec l'article 21 de la Constitution.

B.6.1. L'article 21 de la Constitution dispose : « L'Etat n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination ni dans l'installation des ministres d'un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs, et de publier leurs actes, sauf, en ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication.

Le mariage civil devra toujours précéder la bénédiction nuptiale, sauf les exceptions à établir par la loi, s'il y a lieu ».

B.6.2. En vertu de l'article 21, alinéa 1er, de la Constitution, l'Etat ne peut intervenir dans la nomination et l'installation des ministres d'un culte, ni leur interdire de correspondre avec leur supérieur ou de publier leurs actes. La liberté de culte garantie par l'article 21, alinéa 1er, de la Constitution reconnaît l'autonomie d'organisation des communautés religieuses. Chaque religion est libre d'avoir sa propre organisation dans laquelle l'Etat ne peut, en principe, intervenir.

L'autonomie organisationnelle des communautés religieuses relève en effet de la protection de la liberté de religion qui comprend, entre autres, la liberté d'exprimer sa religion, soit seul, soit avec d'autres, et qui est protégée tant par les articles 19 et 21, alinéa 1er, de la Constitution que par l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.7.1. Le principe de séparation de l'Eglise et de l'Etat, déduit notamment de l'article 21, alinéa 1er, de la Constitution, n'est pas absolu et ne s'oppose pas à toute ingérence de l'Etat dans l'autonomie des communautés religieuses.

Une ingérence dans le droit des cultes reconnus de régler de manière autonome leur fonctionnement peut en effet être compatible avec la liberté de religion et avec la liberté de culte, pour autant que la mesure fasse l'objet d'une réglementation suffisamment accessible et précise, qu'elle poursuive un objectif légitime et qu'elle soit nécessaire dans une société démocratique, ce qui implique que l'ingérence doit répondre à « un besoin social impérieux » et qu'il doit exister un lien raisonnable de proportionnalité entre le but légitime poursuivi, d'une part, et la limitation de ces libertés, d'autre part.

B.7.2. Par ailleurs, la portée du principe de séparation de l'Eglise et de l'Etat est intrinsèquement variable et évolutive.

Le respect de l'autonomie des communautés religieuses s'intègre dans un ordre juridique étatique donné, et, partant, dans le respect et les limites du cadre juridique fixé par l'Etat : il existe en effet « dans la pratique des Etats européens, une grande variété de modèles constitutionnels régissant les relations entre l'Etat et les cultes » (CEDH, grande chambre, 9 juillet 2013, Sindicatul « Pastorul cel Bun » c. Roumanie, § 138;grande chambre, 12 juillet 2014, Fernssndez Mart¤nez c. Espagne, § 130). La Cour européenne des droits de l'homme reconnaît d'ailleurs aux Etats une large marge d'appréciation « lorsque l'Etat doit ménager un équilibre entre des intérêts privés et publics concurrents ou entre différents droits protégés par la Convention » (CEDH, 23 septembre 2010, Obst c. Allemagne, § 42; 23 septembre 2010, Schüth c. Allemagne, § 56).

Le respect de l'autonomie des communautés religieuses peut, en outre, varier en fonction des circonstances et de l'époque, mais aussi des particularités de la matière à laquelle il s'applique.

B.8.1. Dans le domaine de l'enseignement, le principe de séparation de l'Eglise et de l'Etat doit s'apprécier en tenant compte de l'existence historique, en Belgique, des différents réseaux d'enseignement, qui s'inscrivent dans le souci du Constituant de garantir la liberté des opinions protégée par l'article 19 de la Constitution de même que la liberté d'enseignement garantie par l'article 24 de la Constitution, ces deux libertés constitutionnelles étant indissociables.

B.8.2. Les rapports entre les différents réseaux d'enseignement sont réglés dans le Pacte scolaire concrétisé, notamment, par la loi du 29 mai 1959, ainsi que par l'article 24 de la Constitution, tel qu'il a été modifié par la révision constitutionnelle du 15 juillet 1988.

Il ressort des travaux préparatoires de cette révision constitutionnelle que, par cette disposition, le Constituant « [voulait] traduire les principes de bases du pacte scolaire dans une disposition constitutionnelle qui viendrait compléter les garanties déjà prévues à l'article 17 » (Doc. parl., Sénat, S.E. 1988, n° 100-1/1°, p. 2). Ces « principes », complétés par les principes déjà garantis à l'article 17 ancien (24 actuel) de la Constitution, visent ainsi la liberté active et passive d'enseignement, la possibilité pour les communautés d'organiser elles-mêmes un enseignement répondant à une exigence de neutralité, la possibilité pour les communautés, en tant que pouvoirs organisateurs, de déléguer des compétences à des organes autonomes, le droit à l'enseignement et les principes de légalité et d'égalité en matière d'enseignement.

B.8.3. Par ailleurs, l'article 24, § 1er, alinéa 4, de la Constitution, en imposant aux pouvoirs publics, qui organisent des écoles, d'offrir le choix entre l'enseignement d'une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle, a défini un droit fondamental. A ce droit fondamental reconnu aux parents et aux élèves, correspond dans le chef des pouvoirs publics organisant un enseignement l'obligation d'organiser, notamment, des cours de religion.

B.8.4. En vertu de l'article 24, § 3, de la Constitution, chacun a droit à l'enseignement dans le respect des libertés et droits fondamentaux. Parmi ces droits fondamentaux figure le droit des parents, garanti notamment par l'article 2 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, de faire assurer l'enseignement dispensé par les pouvoirs publics aux enfants dans le respect de leurs convictions religieuses et philosophiques.

B.9.1. La Cour n'est pas compétente pour se prononcer sur une différence de traitement ou une limitation d'un droit fondamental découlant d'un choix opéré par le Constituant lui-même.

Bien que ce choix doive en principe ressortir du texte de la Constitution, il peut également découler de l'économie de la Constitution dans son ensemble, lorsque la combinaison de plusieurs dispositions constitutionnelles permet de faire la clarté concernant un choix indéniable du Constituant.

B.9.2. L'article 24, § 1er, de la Constitution impose aux écoles organisées par les pouvoirs publics d'offrir, jusqu'à la fin de l'obligation scolaire, le choix entre l'enseignement d'une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle. Lorsque le législateur organise l'inspection de ces cours de religion, il est obligé, en application de l'article 21, alinéa 1er, de la Constitution, de respecter l'autonomie des communautés religieuses.

B.9.3. Ce constat n'implique cependant pas que la disposition en cause échappe au contrôle de la Cour. En effet, comme il est dit en B.7, le respect de l'autonomie des communautés religieuses n'est pas absolu et a une portée évolutive.

B.9.4. Alors que le texte de la disposition en cause ne vise que la nomination de l'inspecteur de religion sur proposition du chef du culte, le juge a quo l'interprète largement et en déduit que la perte de la confiance du chef du culte impose la cessation des fonctions de l'inspecteur de religion nommé par la Communauté française.

Même si cette interprétation, qui dépasse la lettre de la disposition en cause, procède du souci de se conformer au principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, découlant de l'article 21, alinéa 1er, de la Constitution, il ne peut toutefois résulter de cette interprétation à la lumière d'un objectif du Constituant que la disposition en cause, telle qu'elle est interprétée par le juge a quo, découle d'un choix du Constituant.

B.9.5. L'exception est rejetée.

Quant au fond B.10. Dans l'interprétation du juge a quo, la disposition en cause créerait une obligation pour la Communauté française de mettre fin aux fonctions de l'inspecteur de religion qu'elle a nommé sur proposition du chef du culte si cet inspecteur a perdu la confiance du chef du culte, sans aucun contrôle des motifs de cette perte de confiance, ni par la Communauté française ni, en cas de recours, par le Conseil d'Etat.

Dans cette interprétation, la disposition en cause crée une différence de traitement, tant sur le plan administratif que juridictionnel, en ce qui concerne le régime de cessation des fonctions, entre les inspecteurs de religion et les autres inspecteurs de l'enseignement de la Communauté française.

La question préjudicielle invite à se prononcer sur la compatibilité de cette différence de traitement avec les articles 10, 11 et 24 de la Constitution, combinés ou non avec les articles 6, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.11.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d'égalité et de non-discrimination. L'article 24, § 4, de la Constitution constitue une application particulière de ce principe en matière d'enseignement.

B.11.2. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.12.1. Dans son mémoire en intervention, la partie requérante devant le juge a quo estime que les inspecteurs des cours de religion et les inspecteurs des autres cours de l'enseignement de la Communauté française ne sont pas comparables, dès lors que les premiers feraient partie du culte qu'ils sont chargés de représenter au sein de l'enseignement.

B.12.2. Il ne faut pas confondre différence et non-comparabilité. En l'espèce, la Cour doit comparer les inspecteurs des cours de religion avec les inspecteurs des autres cours d'enseignement. Ces inspecteurs, qui sont tous nommés par la Communauté française et relèvent de l'autorité de l'inspecteur général coordonnateur (article 1er, alinéa 3, du décret de la Communauté française du 8 mars 2007), ont pour mission de veiller à la qualité de l'enseignement; ils se trouvent dans des situations qui ne sont pas à ce point différentes qu'elles ne pourraient être comparées entre elles en ce qui concerne la cessation de leurs fonctions.

B.13.1. La disposition en cause « se borne à adapter la législation existante aux nécessités nouvelles résultant de la [loi sur le Pacte scolaire] » (Doc. parl., Chambre, 1958-1959, n° 199/1, p. 11); elle reprend le régime existant antérieurement qui « implique toujours un double consentement : celui du pouvoir organisateur et celui des chefs ou des représentants des cultes intéressés » (ibid., p. 12).

La disposition en cause reprend ainsi le texte de l'article 7, alinéa 2, de la loi du 27 juillet 1955 « fixant des règles d'organisation de l'enseignement de l'Etat, des provinces et des communes, et de subvention, par l'Etat, d'établissements d'enseignement moyen, normal et technique », qui est devenu l'article 8, alinéa 2, des lois coordonnées du 30 avril 1957 sur l'enseignement normal et l'article 19, alinéa 2, des lois coordonnées du 30 avril 1957 sur l'enseignement moyen.

L'article 7, alinéa 2, de la loi du 27 juillet 1955 trouve lui-même son origine dans le régime établi depuis la loi du 23 septembre 1842 organique de l'instruction primaire; à la différence toutefois de ce régime, qui prévoyait que l'inspection des cours de religion était exercée par des délégués des chefs du culte, l'article 7, alinéa 2, de la loi du 27 juillet 1955 a prévu que l'inspection des cours de religion est exercée par des délégués du culte, nommés par le ministre de l'Instruction publique sur proposition du chef du culte.

A la différence de l'article 7, alinéa 2, relatif à l'inspection des cours de religion, introduit par le biais d'un amendement du Gouvernement, l'article 7, alinéa 1er, de la loi du 27 juillet 1955, qui a modifié de la même manière l'intervention du chef du culte en ce qui concerne les professeurs de religion, a fait l'objet de discussions parlementaires.

Dans les travaux préparatoires relatifs à cette disposition, il est exposé : « La nomination par le Ministre de l'Instruction publique, de professeurs de religion, sur proposition des chefs des cultes intéressés, est normale, étant donné que ces personnes font partie du corps enseignant et qu'il peut être amené à prendre des mesures disciplinaires à leur égard » (Doc. parl., Chambre, 1954-1955, n° 217/22, p. 5).

A un membre qui s'informait de « la raison pour laquelle les nominations des professeurs de religion ne seront plus faites par l'autorité religieuse comme par le passé », le ministre a répondu : « Le principe est que le Roi nomme les professeurs. C'est ce que prévoit le projet étant entendu que la nomination se fait sur proposition des autorités religieuses et de leur accord.

L'Etat et l'autorité auront chacun un pouvoir disciplinaire : l'un uniquement pour le respect des lois, l'autre comme employeur avec les droits qui en découlent » (ibid., p. 28).

B.13.2. L'article 31 de l'arrêté royal du 25 octobre 1971 « fixant le statut des maîtres de religion, des professeurs de religion et des inspecteurs des religions catholique, protestante, israélite, orthodoxe et islamique des établissements d'enseignement de la Communauté française » (ci-après : arrêté royal du 25 octobre 1971) prévoit également : « Les inspecteurs de religion des établissements de l'Etat sont nommés à titre définitif dans un emploi vacant par le Ministre sur proposition du chef du culte.

Ces inspecteurs doivent remplir les conditions ci-après : 1) être nommé à titre définitif, dans l'enseignement de l'Etat, à la fonction de maître de religion ou de professeur de religion;2) être en activité de service dans l'enseignement de l'Etat; 3) [...] 4) compter une ancienneté de fonction de cinq ans au moins dans l'enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française. Dans celle-ci, l'ancienneté de fonction acquise dans un établissement d'enseignement subventionné peut intervenir pour un maximum de trois ans.

Pour les religions protestante, israélite, orthodoxe et islamique, l'ancienneté de fonction exigée est de deux ans au moins dans l'enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française, dans laquelle l'ancienneté de fonction acquise dans un établissement d'enseignement subventionné peut intervenir pour un maximum d'un an. [...] ».

L'article 32 de l'arrêté royal du 25 octobre 1971, tel qu'il a été modifié par l'article 183 du décret de la Communauté française du 8 mars 2007 et par l'article 170 du décret de la Communauté française du 10 mars 2006, dispose : « Les articles 122 à 127 et 131 à 134 de l'arrêté royal du 22 mars 1969 susmentionné sont d'application pour les maîtres de religion et les professeurs de religion.

Pour les inspecteurs de religion, toutes les peines sont proposées par l'Inspecteur général coordonnateur du Service général de l'Inspection créé par le décret du 8 mars 2007 relatif au Service général de l'Inspection, au Service de conseil et de soutien pédagogiques de l'enseignement organisé par la Communauté française, aux Cellules de conseil et de soutien pédagogiques de l'enseignement subventionné par la Communauté française et aux statuts des membres du personnel du Service général de l'Inspection et des Conseillers pédagogiques.

Les peines disciplinaires sont proposées après consultation du chef du culte ».

B.14.1. En prévoyant que, dans les établissements d'enseignement de la Communauté, l'inspection des cours de religion est assurée par les inspecteurs nommés par le ministre « sur proposition des chefs des cultes intéressés », la disposition en cause procède du souci de garantir l'authenticité de l'enseignement de la religion en permettant aux chefs du culte intéressés de participer à la nomination des inspecteurs de religion. Elle vise ainsi à garantir l'autonomie des communautés religieuses dans la détermination du contenu de l'enseignement de la religion.

La disposition en cause tend dès lors à assurer le respect de l'autonomie organisationnelle des communautés religieuses, qui est un objectif découlant de l'article 21, alinéa 1er, de la Constitution.

B.14.2. L'inspection des cours de religion dans les établissements d'enseignement de la Communauté est effectuée par un délégué du chef du culte nommé à titre définitif par la Communauté, à la différence de l'inspection des cours de religion dans les autres établissements officiels d'enseignement ainsi que dans les établissements d'enseignement libre subventionné, qui, en vertu de l'article 9, alinéas 5 à 7, de la loi sur le Pacte scolaire, est en principe effectuée par un délégué du chef du culte nommé par ce dernier.

La loi sur le Pacte scolaire a donc repris le principe que, dans les établissements d'enseignement de la Communauté, l'inspection des cours de religion relève d'un délégué du chef du culte mais dont la fonction n'est pas entièrement laissée à l'appréciation du chef du culte; ce dernier intervient préalablement à la nomination, effectuée par l'autorité publique elle-même. Comme il ressort des travaux préparatoires cités en B.13.1, cet inspecteur de religion, en raison de sa nomination par la Communauté, jouit également du statut de fonctionnaire. Il bénéficie dès lors d'un statut hybride, relevant tant de la sphère cultuelle que de la fonction publique.

Par ailleurs, l'inspecteur de religion nommé par la Communauté exerce ses fonctions sous l'autorité de l'inspecteur général coordonnateur visé dans le décret du 8 mars 2007. Conformément à l'article 32 de l'arrêté royal du 25 octobre 1971, les peines disciplinaires à l'égard d'un inspecteur de religion sont proposées par l'inspecteur général coordonnateur, après consultation du chef du culte.

B.14.3. Il résulte de ce qui précède que les inspecteurs de religion dans les établissements de la Communauté française sont, en ce qui concerne les procédures de nomination et de sanctions disciplinaires, soumis à un statut différent de celui des inspecteurs des autres cours nommés par la Communauté française. Cette différence découle de l'intervention conjointe des pouvoirs publics et du chef du culte dans la carrière de l'inspecteur de religion.

B.15. Cette différence de traitement est fondée sur un critère objectif et pertinent, à savoir la matière sur laquelle porte l'inspection, qui justifie, au regard de ce qui est dit en B.14.1, que le chef du culte soit associé à la nomination et au régime disciplinaire des inspecteurs qu'il a proposé de nommer.

B.16. Il convient d'examiner si, telle qu'elle est interprétée par le juge a quo, la disposition en cause n'entraîne pas d'effets disproportionnés au regard du but poursuivi.

B.17. Le litige devant le juge a quo concerne les effets, sur le droit de la fonction publique, du retrait de la confiance du chef du culte à l'égard d'un inspecteur de religion qu'il a proposé à une nomination par la Communauté française. Telle qu'elle est interprétée par le juge a quo, la disposition en cause implique que la confiance du chef du culte, témoignée lors de la proposition à la nomination, doit perdurer tout au long de l'exercice de la fonction et qu'en cas de retrait de cette confiance, la Communauté serait tenue de mettre fin aux fonctions de l'inspecteur de religion concerné.

Dans l'interprétation du juge a quo, la disposition en cause créerait une cause absolue de révocation d'un fonctionnaire nommé à titre définitif, sans que les motifs de cette révocation puissent être appréciés par la Communauté ou par le Conseil d'Etat.

B.18.1. Comme il a été constaté précédemment, même s'il représente le chef du culte, a été nommé sur sa proposition et est chargé de vérifier l'authenticité de l'enseignement de la religion, l'inspecteur de religion devient, dès sa nomination, un fonctionnaire de la Communauté. En raison de cette nomination par l'autorité publique, l'inspecteur de religion ne peut pas être assimilé à un ministre du culte ou à un employé du culte nommé par le chef du culte, dont la relation avec le chef du culte relève de la seule sphère cultuelle, conformément au principe découlant de l'article 21, alinéa 1er, de la Constitution.

Si le statut de cet inspecteur de religion est hybride, il ressort du texte même de la disposition en cause que sa mission relève de l'intérêt général d'assurer un enseignement de qualité et présente, de manière prépondérante, un caractère public. La nomination de cet inspecteur de religion, par l'autorité publique, traduit ce caractère public prépondérant.

B.18.2. En effet, la loi sur le Pacte scolaire n'a pas abandonné l'inspection des cours de religion à la seule appréciation du chef du culte concerné, puisqu'elle a posé le principe que, dans les établissements d'enseignement de la Communauté, l'inspection des cours de religion ne relève pas d'un délégué du chef du culte nommé par ce dernier, mais d'un délégué du chef du culte nommé à titre définitif par la Communauté. Par le choix posé par cette disposition, l'inspection des cours de religion dans les établissements d'enseignement de la Communauté relève d'une fonction publique, à laquelle s'appliquent dès lors, en principe, les règles de stabilité de l'emploi et de continuité du service public.

B.18.3. En prévoyant que les inspecteurs de religion sont nommés par la Communauté sur proposition du chef du culte, la disposition en cause définit dès lors la proposition du chef du culte comme un préalable à sa nomination par la Communauté. A partir de sa nomination, l'inspecteur devient un fonctionnaire sous l'autorité de l'inspecteur général coordonnateur, le chef du culte n'étant consulté qu'en cas de sanction disciplinaire.

Si l'on conférait au retrait de la confiance du chef du culte une obligation absolue de révoquer l'inspecteur de religion nommé par la Communauté française, le choix repris dans le Pacte scolaire d'une nomination de l'inspecteur de religion par l'autorité publique « sur proposition du chef du culte intéressé » ne se distinguerait plus d'une nomination par le chef du culte lui-même.

B.19.1. Dans l'interprétation selon laquelle la perte de la confiance du chef du culte impose la cessation des fonctions de l'inspecteur de religion, sans aucun contrôle des motifs de cette perte de confiance, la disposition en cause entraîne des effets qui dépassent ce qu'exige le respect de l'autonomie des communautés religieuses dans l'inspection des cours de religion.

B.19.2. En effet, ainsi interprétée, la disposition en cause créerait une ingérence du chef du culte dans la fonction publique, puisque le chef du culte pourrait imposer à la Communauté la révocation d'un inspecteur de religion, pour des motifs non seulement d'ordre religieux, mais aussi disciplinaires, alors même que c'est à l'inspecteur général coordonnateur qu'il appartient de proposer des peines disciplinaires, après consultation du chef du culte. Ces motifs, religieux mais aussi disciplinaires, relèveraient dès lors de l'appréciation souveraine du chef du culte, sans aucune garantie du respect du principe du contradictoire ou de la proportionnalité de la mesure, et sans aucun recours effectif devant un juge.

B.19.3. Dans l'interprétation du juge a quo, la question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

B.20.1. Comme le soutient la Communauté française, la disposition en cause peut cependant être interprétée dans un sens qui soit conforme tant au principe d'égalité et de non-discrimination qu'à l'autonomie des communautés religieuses.

En effet, la disposition en cause peut être interprétée en ce sens que, de la même manière que le chef du culte intervient dans la nomination de l'inspecteur de religion en le proposant, il peut proposer sa révocation lorsque l'inspecteur concerné ne serait plus à même de garantir l'authenticité de l'enseignement de la religion.

B.20.2. L'inspecteur de religion qui a perdu la confiance du chef du culte dont il relève doit être privé de sa fonction par son employeur, en l'espèce la Communauté française, mais uniquement lorsque les motifs de cette perte de confiance sont de nature à indiquer raisonnablement que l'intéressé a porté atteinte au devoir de loyauté dû à la communauté religieuse dont il relève et que ces motifs peuvent être admis dans une société démocratique.

B.20.3. Lorsque les droits fondamentaux de l'intéressé sont en cause, le chef du culte doit démontrer, à la lumière des circonstances du cas d'espèce, que le risque d'atteinte à l'autonomie de la communauté religieuse est probable et sérieux, que l'ingérence dans le droit fondamental de l'intéressé ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour écarter ce risque et que cette ingérence ne sert pas un but étranger à l'exercice de l'autonomie de la communauté religieuse. Elle ne doit pas porter atteinte à l'essence des droits fondamentaux de l'intéressé. Il appartient, en premier lieu, à la Communauté française et, en second lieu, au juge compétent de procéder à un examen approfondi des circonstances de l'affaire et à une mise en balance circonstanciée des intérêts divergents en jeu (comparer CEDH, grande chambre, 12 juin 2014, Fernssndez Mart¤nez c. Espagne, § 132).

B.20.4. L'autonomie de la communauté religieuse ne fait pas obstacle à ce que les juridictions vérifient si la décision du chef du culte est dûment motivée, qu'elle n'est pas entachée d'arbitraire et qu'elle n'a pas été prise dans un but étranger à l'exercice de l'autonomie de la communauté religieuse concernée.

La possibilité de contester les motifs du retrait de la confiance du chef du culte suppose que l'inspecteur de religion ait pu en avoir connaissance afin de pouvoir se défendre dans le cadre d'un débat contradictoire devant l'autorité administrative compétente. Le respect de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme impose en effet que, préalablement à la révocation de l'inspecteur de religion, le principe du contradictoire ait été respecté, ce qu'il appartient le cas échéant au juge a quo de contrôler. Si l'inspecteur de religion concerné n'a pas pu connaître les motifs de la perte de confiance du chef du culte et n'a, dès lors, pu les contester dans le cadre d'un débat contradictoire, la mesure de révocation serait manifestement disproportionnée.

B.21. Lorsque les motifs de la perte de confiance sont étrangers au devoir de loyauté précité, rien ne justifie qu'ils échappent à un contrôle plénier de la Communauté française et, le cas échéant, du Conseil d'Etat. Il convient à cet égard de rappeler que le régime disciplinaire des inspecteurs de religion relève de l'inspecteur général coordonnateur, conformément à l'article 32 de l'arrêté royal du 25 octobre 1971, après consultation du chef du culte.

B.22. Dans cette interprétation, la question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - Interprété en ce sens que l'inspecteur de religion qui a perdu la confiance du chef du culte dont il relève doit être privé de la fonction dont il est titulaire sans que son employeur, la Communauté française, puis le Conseil d'Etat, ne puissent exercer de contrôle quant aux motifs qui ont entraîné cette perte de confiance, l'article 9, alinéa 4, de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement viole les articles 10, 11 et 24 de la Constitution, combinés avec les articles 6, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme. - Interprété en ce sens que, dans un tel cas, la Communauté française, puis le Conseil d'Etat, peuvent exercer le contrôle indiqué en B.20 et B.21, l'article 9, alinéa 4, de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement ne viole pas les articles 10, 11 et 24 de la Constitution, combinés avec les articles 6, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 27 avril 2017.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, J. Spreutels

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