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Arrêt
publié le 10 mai 2019

{Extrait de l'arrêt n° 53/2019 du 4 avril 2019 Numéros du rôle : 6816, 6818, 6819, 6820 et 6821 En cause : les recours en annulation du décret de la Région flamande du 7 juillet 2017 portant modification de la loi du 14 août 1986 relative à l La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen(...)

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{Extrait de l'arrêt n° 53/2019 du 4 avril 2019 Numéros du rôle : 6816, 6818, 6819, 6820 et 6821 En cause : les recours en annulation du décret de la Région flamande du 7 juillet 2017 portant modification de la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux, en ce qui concerne les méthodes autorisées pour l'abattage des animaux, introduits par le Consistoire Central Israélite de Belgique et autres, par l'ASBL « Unie Moskeeën Antwerpen » et l'ASBL « Islamitisch Offerfeest Antwerpen », par Marcel Lehrer et Nochem Jakobovics, par l'Exécutif des Musulmans de Belgique et autres et par l'ASBL « Comité de Coordination des Organisations Juives de Belgique. Section belge du Congrès juif mondial et Congrès juif européen » et autres.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman et M. Pâques, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des recours et procédure a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 16 janvier 2018 et parvenue au greffe le 17 janvier 2018, un recours en annulation du décret de la Région flamande du 7 juillet 2017 « portant modification de la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux, en ce qui concerne les méthodes autorisées pour l'abattage des animaux » (publié au Moniteur belge du 18 juillet 2017) a été introduit par le Consistoire Central Israélite de Belgique, la « Israëlitische Gemeente van Antwerpen Machsike Hadass », la « Israëlitische Gemeente van Antwerpen Shomre Hadass », la « Portugees-Israëlitische Gemeenschap van Antwerpen Beth Mosche », la Communauté israélite de Waterloo et du Brabant Sud, la Communauté israélite de Charleroi, la Communauté israélite de Liège, la Communauté israélite d'Arlon, Albert Guigui, Josef Cohen Tarab, Daniel Kalter, Amram Benizri, Jacob Benzennou, Joshua Nejman, Eric Globen, le « Forum der Joodse Organisaties », Isaac Weiss, la SPRL « Stogel Catering », la SPRL « Hodaya », Bluma Friedman, Joel Reitzer, Josef Herczl, Samuel Friedman, Abraham Dellafaille, Jeroen Le Jeune, Marianne Faes, David Vandeputte, Els Segers, David Norero Sànchez, Rosa De Bruyn, Johan Declerck, Maaike Niemeijer, O.Reinier, I. Braeckman, Penina Soudry, Jeannine Béatrice Wisnia et Georges Friedmann, assistés et représentés par Me E. Jacubowitz, Me C. Caillet et Me E. Maes, avocats au barreau de Bruxelles. b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 16 janvier 2018 et parvenue au greffe le 18 janvier 2018, un recours en annulation du même décret a été introduit par l'ASBL « Unie Moskeeën Antwerpen » et l'ASBL « Islamitisch Offerfeest Antwerpen », assistées et représentées par Me D.Philippe, Me I. Akrouh et Me M. Clément de Cléty, avocats au barreau de Bruxelles. c. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 16 janvier 2018 et parvenue au greffe le 18 janvier 2018, un recours en annulation du même décret a été introduit par Marcel Lehrer et Nochem Jakobovics, assistés et représentés par Me S.Ronse et Me D. Smets, avocats au barreau de Flandre occidentale. d. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 16 janvier 2018 et parvenue au greffe le 18 janvier 2018, un recours en annulation des articles 3, 4 et 5 du même décret a été introduit par l'Exécutif des Musulmans de Belgique, le Conseil de coordination des institutions islamiques de Belgique, l'AISBL « Association internationale Diyanet de Belgique », l'ASBL « Fédération islamique de Belgique », l'ASBL « Rassemblement des Musulmans de Belgique », l'ASBL « Union des Mosquées de la Province de Liège », l'ASBL « Unie van Moskeeën en Islamitische verenigingen van Limburg », Hasan Batakli, Tahar Chahbi et Semsettin Ugurlu, assistés et représentés par Me J. Roets, avocat au barreau d'Anvers. e. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 16 janvier 2018 et parvenue au greffe le 18 janvier 2018, un recours en annulation des articles 3, 4 et 5 du même décret a été introduit par l'ASBL « Comité de Coordination des Organisations Juives de Belgique.Section belge du Congrès juif mondial et Congrès juif européen », Yohan Benizri, Liliane Seidman et Dinah Korn, assistés et représentés par Me E. Cloots et Me S. Sottiaux, avocats au barreau d'Anvers.

Ces affaires, inscrites sous les numéros 6816, 6818, 6819, 6820 et 6821 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) II. En droit (...) Quant au décret attaqué et à son contexte B.1.1. Les parties requérantes dans les affaires nos 6816, 6818, 6819, 6820 et 6821 demandent l'annulation totale ou partielle du décret de la Région flamande du 7 juillet 2017 « portant modification de la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux, en ce qui concerne les méthodes autorisées pour l'abattage des animaux », qui dispose : «

Article 1er.Le présent décret règle une matière régionale.

Art. 2.A l'article 3 de la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux, modifié par les lois des 4 mai 1995, 9 juillet 2004, 11 mai 2007 et 27 décembre 2012, les modifications suivantes sont apportées : 1° les points 13 et 14 sont remplacés par ce qui suit : ' 13° mise à mort : tout procédé appliqué intentionnellement qui aboutit à la mort d'un animal;14° abattage : la mise à mort d'animaux destinés à la consommation humaine;'; 2° il est inséré un point 14bis, rédigé comme suit : ' 14bis.étourdissement : tout procédé appliqué intentionnellement à un animal, qui le plonge sans douleur dans un état d'inconscience et d'anesthésie, y compris tout procédé entraînant une mort immédiate; '.

Art. 3.L'article 15 de la même loi est remplacé par ce qui suit : '

Art. 15.§ 1er. Un vertébré ne peut être mis à mort qu'après étourdissement préalable. Il ne peut être mis à mort que par une personne ayant les connaissances et les capacités requises, et suivant la méthode la moins douloureuse, la plus rapide et la plus sélective.

Par dérogation à l'alinéa 1er, un vertébré peut être mis à mort sans étourdissement préalable : 1° en cas de force majeure;2° en cas de chasse ou de pêche;3° dans le cadre de la lutte contre des organismes nuisibles. § 2. Si les animaux sont abattus selon des méthodes spéciales requises pour des rites religieux, l'étourdissement est réversible et la mort de l'animal n'est pas provoquée par l'étourdissement '.

Art. 4.L'article 16 de la même loi, modifié par la loi du 4 mai 1995, l'arrêté royal du 22 février 2001 et la loi du 7 février 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 07/02/2014 pub. 28/02/2014 numac 2014024066 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi portant des dispositions diverses en matière de bien-être animal, de commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction, et de santé des animaux type loi prom. 07/02/2014 pub. 25/02/2014 numac 2014022066 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi portant des dispositions diverses en matière d'accessibilité aux soins de santé fermer, est remplacé par ce qui suit : '

Art. 16.§ 1er. Le Gouvernement flamand détermine les conditions pour : 1° les méthodes pour l'étourdissement et la mise à mort d'animaux selon les circonstances et l'espèce animale;2° la construction, l'aménagement et l'équipement des abattoirs;3° la garantie d'une indépendance d'action du responsable du bien-être des animaux;4° la capacité du responsable du bien-être des animaux, du personnel dans les abattoirs et des personnes associées à la mise à mort des animaux, y compris le contenu et l'organisation des formations et des examens, et la délivrance, le retrait et la suspension des certificats délivrés dans ce cadre. § 2. Le Gouvernement flamand peut agréer des établissements pour l'abattage groupé d'animaux destinés à la consommation domestique privée et déterminer les conditions pour l'abattage en dehors d'un abattoir d'animaux destinés à la consommation domestique privée '.

Art. 5.Dans la même loi, modifiée en dernier lieu par la loi du 7 février 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 07/02/2014 pub. 28/02/2014 numac 2014024066 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi portant des dispositions diverses en matière de bien-être animal, de commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction, et de santé des animaux type loi prom. 07/02/2014 pub. 25/02/2014 numac 2014022066 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi portant des dispositions diverses en matière d'accessibilité aux soins de santé fermer, il est inséré un article 45ter, rédigé comme suit : '

Art. 45ter.Par dérogation à l'article 15, l'étourdissement de bovins abattus selon des méthodes spéciales requises pour des rites religieux, peut avoir lieu immédiatement après l'égorgement, jusqu'à la date à laquelle le Gouvernement flamand arrête que l'étourdissement réversible est pratiquement applicable pour ces espèces animales '.

Art. 6.Le présent décret entre en vigueur le 1er janvier 2019 ».

B.1.2. Le décret attaqué a été pris en vertu de la compétence attribuée aux régions - depuis la sixième réforme de l'Etat (2014) - en ce qui concerne le bien-être des animaux (article 6, § 1er, XI, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles).

B.2.1. Avant les modifications apportées par le décret attaqué, l'article 16, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux (ci-après : la loi du 14 août 1986) disposait : « § 1.L'abattage ne peut se pratiquer qu'après étourdissement de l'animal ou, en cas de force majeure, suivant la méthode la moins douloureuse.

Les dispositions du chapitre VI de la présente loi, à l'exception de l'article 16, § 2, alinéa 2, ne s'appliquent toutefois pas aux abattages prescrits par un rite religieux. § 2. Le Roi peut déterminer les méthodes d'étourdissement et d'abattage en fonction des circonstances de l'abattage et de l'espèce animale.

Le Roi peut déterminer que certains abattages prescrits par un rite religieux doivent être effectués dans des abattoirs agréés ou dans des établissements agréés par le Ministre qui a le bien-être des animaux dans ses attributions, après avis de l'Agence fédérale pour la Sécurité de la Chaîne alimentaire, par des sacrificateurs habilités à se faire par les représentants du culte ».

B.2.2. Avant les modifications apportées par le décret attaqué, la loi du 14 août 1986 prévoyait ainsi, pour les abattages prescrits par un rite religieux, une exception à l'obligation de principe d'étourdir l'animal au préalable. Le décret attaqué abroge cette exception.

B.2.3. Selon l'article 3, 14bis, de la loi du 14 août 1986, tel qu'il a été inséré par l'article 2 du décret attaqué, il y a lieu d'entendre par « étourdissement » « tout procédé appliqué intentionnellement à un animal, qui le plonge sans douleur dans un état d'inconscience et d'anesthésie, y compris tout procédé entraînant une mort immédiate ».

L'article 15, § 2, de la loi du 14 août 1986, tel qu'il a été remplacé par l'article 3 du décret attaqué, prévoit toutefois une modalité d'étourdissement particulière : le procédé d'étourdissement appliqué doit être réversible et ne peut entraîner la mort de l'animal.

B.2.4. En vertu de l'article 36, 6°, de la loi du 14 août 1986, tel qu'il est applicable en Région flamande, quiconque enfreint les dispositions du chapitre VI (dont fait partie l'article 15) est puni d'une amende de 52 euros à 2 000 euros, sans préjudice de l'application, le cas échéant, de peines plus sévères fixées par le Code pénal.

B.2.5. Les travaux préparatoires du décret attaqué mentionnent : « La Flandre attache une grande importance au bien-être animal.

L'objectif est donc de bannir en Flandre toute souffrance animale évitable. L'abattage sans étourdissement des animaux est incompatible avec ce principe. Bien que d'autres mesures, moins drastiques qu'une interdiction de l'abattage sans étourdissement préalable, pourraient limiter quelque peu l'incidence négative de cette méthode d'abattage sur le bien-être des animaux, de telles mesures ne peuvent pas empêcher que subsiste une très grave atteinte à ce bien-être. La marge entre l'élimination de la souffrance animale, d'une part, et l'abattage sans étourdissement préalable, d'autre part, sera toujours très grande, même si des mesures moins radicales étaient prises pour limiter au maximum l'atteinte au bien-être animal.

Il n'en reste pas moins qu'un équilibre est recherché entre la protection du bien-être animal et la liberté de religion.

Les rites religieux tant juif qu'islamique exigent que l'animal se vide au maximum de son sang. Des recherches scientifiques ont démontré que la crainte selon laquelle l'étourdissement influencerait négativement la saignée n'est pas fondée [...].

Par ailleurs, les deux rites exigent que l'animal soit intact et sain au moment de l'abattage et qu'il meure par hémorragie. Ainsi qu'il a été exposé au point 1.4.2, l'électronarcose est une méthode d'étourdissement réversible (non létale) dans le cadre de laquelle l'animal, s'il n'est pas égorgé entre-temps, reprend conscience après un bref laps de temps et ne ressent aucun effet négatif de l'étourdissement. Si l'animal est égorgé immédiatement après avoir été étourdi, son décès sera purement dû à l'hémorragie. Compte tenu de ceci, la conclusion qui figure dans le rapport de Monsieur Vanthemsche peut être suivie. Selon cette conclusion, l'application de l'étourdissement réversible, non létal, lors de la pratique de l'abattage rituel constitue une mesure proportionnée qui respecte l'esprit de l'abattage rituel dans le cadre de la liberté de religion et tient compte au maximum du bien-être des animaux concernés. A tout le moins, l'obligation de recourir à l'électronarcose pour les abattages réalisés selon des méthodes spéciales requises par des rites religieux ne porte dès lors pas une atteinte disproportionnée à la liberté de religion » (Doc. parl., Parlement flamand, 2016-2017, n° 1213-1, pp. 15-16).

B.3. Par le décret du 18 mai 2017 « modifiant les articles 3, 15 et 16 et insérant un article 45ter dans la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux » (ci-après : le décret du 18 mai 2017), la Région wallonne a adopté des règles dont le contenu est très similaire à celui du décret de la Région flamande.

Plusieurs recours en annulation ont été introduits auprès de la Cour contre ce décret de la Région wallonne (affaires jointes nos 6782 et autres).

Entre-temps, le décret de la Région wallonne du 4 octobre 2018 relatif au Code wallon du Bien-être des animaux a abrogé les dispositions du décret du 18 mai 2017 relatives à l'abattage rituel.

Tout comme le décret du 18 mai 2017, le Code wallon du Bien-être des animaux prévoit une interdiction de l'abattage sans étourdissement. Si l'abattage d'animaux fait l'objet de méthodes particulières d'abattage prescrites par un rite religieux, le procédé d'étourdissement doit être réversible et ne peut entraîner la mort de l'animal.

L'interdiction de l'abattage sans étourdissement visée à l'article D.57 du Code wallon du Bien-être des animaux sera applicable à partir du 1er septembre 2019.

Du fait du remplacement du décret du 18 mai 2017 par le décret du 4 octobre 2018, la Cour a dit pour droit, par son arrêt n° 52 du 4 avril 2019, que les recours des affaires nos 6782 et autres étaient sans objet.

B.4. Dans la Région de Bruxelles-Capitale, c'est la loi du 14 août 1986 qui est applicable. Cette loi prévoit, en ce qui concerne l'abattage d'animaux prescrit par un rite religieux, une exception à l'obligation d'étourdir l'animal.

Quant à la recevabilité En ce qui concerne la recevabilité des requêtes et des moyens invoqués B.5. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d'un intérêt. Ne justifient de l'intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.

B.6. Les parties requérantes dans les affaires nos 6816, 6818, 6819, 6820 et 6821 justifient leur intérêt aux recours en invoquant leur qualité d'adepte de la religion juive ou de la religion islamique, de personne morale ayant pour but la défense des intérêts de la communauté juive ou de la communauté islamique en Belgique, d'organe représentatif des communautés religieuses concernées, de membre du conseil d'administration d'un tel organe représentatif, de ministre du culte, d'abatteur d'animaux agréé conformément aux préceptes religieux, ou de personne physique ou morale dont les activités professionnelles dépendent de la disponibilité de viande casher ou halal. Elles font entre autres valoir que ni l'abattage d'animaux avec étourdissement préalable, ni la consommation de viande provenant d'animaux abattus après avoir été étourdis ne sont conformes aux préceptes de la religion juive et de la religion islamique.

En ce que le décret attaqué abroge l'exception à l'obligation d'étourdir l'animal, jusqu'alors applicable à l'abattage d'animaux dans le cadre d'un rite religieux, les parties requérantes justifient en principe d'un intérêt suffisant à leur recours.

B.7.1. Toutefois, Marcel Lehrer et Nochem Jakobovics, parties requérantes dans l'affaire n° 6819, contestent l'intérêt de la première partie requérante dans l'affaire n° 6821 (l'ASBL « Comité de coordination des organisations juives de Belgique. Section belge du Congrès juif mondial et Congrès juif européen »), au motif que cette partie serait une association politique non habilitée à se prononcer sur des questions religieuses.

B.7.2. Le recours dans l'affaire n° 6821 a été introduit non seulement par l'ASBL « Comité de coordination des organisations juives de Belgique. Section du Congrès juif mondial et Congrès juif européen », mais aussi par trois personnes physiques, domiciliées respectivement en Région flamande, dans la Région de Bruxelles-Capitale et en Région wallonne, qui invoquent leur qualité d'adepte de la religion juive. Eu égard également au fait que ces parties requérantes reprochent au décret attaqué d'avoir une influence négative sur l'approvisionnement, en Belgique, de viande provenant d'animaux abattus conformément aux préceptes de la religion juive, les personnes physiques qui agissent en tant que parties requérantes dans l'affaire n° 6821 justifient toutes d'un intérêt suffisant à leur recours.

Dès lors que l'intérêt des deuxième, troisième et quatrième parties requérantes dans l'affaire n° 6821 est établi, le recours en annulation dans cette affaire est recevable et il n'y a pas lieu d'examiner si la première partie requérante justifie elle aussi de l'intérêt requis.

B.8.1. Moishe Friedman, partie intervenante, conteste la représentativité des parties requérantes dans l'affaire n° 6816 qui sont des organes d'une communauté religieuse. Il conteste également l'intérêt des autres parties requérantes dans cette affaire, dès lors que le décret attaqué n'empêche pas l'importation de viande casher depuis l'étranger.

B.8.2. La circonstance que le décret attaqué n'empêcherait pas l'importation de viande casher depuis l'étranger ne fait pas obstacle à l'intérêt des parties requérantes dans l'affaire n° 6816 constaté en B.6. Dès lors que l'intérêt des autres parties requérantes dans cette affaire est établi, le recours en annulation est recevable et il n'y a pas lieu d'examiner si les organes de représentation d'une communauté religieuse justifient eux aussi de l'intérêt requis.

B.9.1. Le Gouvernement flamand estime que les recours dans les affaires nos 6816, 6818 et 6819 sont irrecevables, en ce qu'ils tendent à l'annulation totale du décret. Il estime que les requêtes concernées ne précisent pas les dispositions du décret attaqué qui violeraient les normes de référence invoquées. Il en va de même pour les recours dans les affaires nos 6820 et 6821, en ce qui concerne l'article 5 du décret attaqué.

Le Gouvernement flamand considère également que le recours dans l'affaire n° 6816 est irrecevable, en ce que la requête dénonce la violation de diverses dispositions conventionnelles, sans autre forme de précision.

B.9.2. En vertu de l'article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, la requête doit contenir un exposé des faits et des moyens.

Pour satisfaire aux exigences de l'article 6 précité, les moyens de la requête doivent faire connaître, parmi les règles dont la Cour garantit le respect, celles qui seraient violées ainsi que les dispositions qui violeraient ces règles et exposer en quoi ces règles auraient été transgressées par ces dispositions. Ces exigences sont dictées, d'une part, par la nécessité pour la Cour d'être à même de déterminer, dès le dépôt de la requête, la portée exacte du recours en annulation et, d'autre part, par le souci d'offrir aux autres parties au procès la possibilité de répliquer aux arguments des parties requérantes, de sorte qu'il est indispensable de disposer d'un exposé clair et univoque des moyens.

Cette disposition exige donc que les parties requérantes indiquent quels sont les articles ou parties d'articles qui, selon elles, violent les normes exposées aux moyens, dont la Cour garantit le respect.

La Cour doit déterminer l'étendue du recours en annulation en fonction du contenu de la requête, et notamment sur la base de l'exposé des moyens. Elle limite dès lors son examen aux parties des dispositions attaquées au sujet desquelles il est exposé en quoi elles violeraient les normes de référence invoquées aux moyens et aux normes de référence au sujet desquelles il est exposé en quoi elles seraient violées.

En ce qui concerne la recevabilité des mémoires en intervention B.10.1. L'article 87, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle dispose : « Lorsque la Cour constitutionnelle statue sur les recours en annulation visés à l'article 1er, toute personne justifiant d'un intérêt peut adresser ses observations dans un mémoire à la Cour dans les trente jours de la publication prescrite par l'article 74. Elle est, de ce fait, réputée partie au litige ».

Justifie d'un intérêt au sens de cette disposition, la personne qui montre que sa situation peut être directement affectée par l'arrêt que la Cour est appelée à rendre à propos du recours en annulation.

B.10.2. Trois mémoires en intervention ont été introduits.

B.11.1. La SPRL « Kosher Poultry » et autres, parties intervenantes, invoquent, à l'appui de leur intérêt, leur qualité d'abatteur d'animaux agréé conformément aux préceptes religieux, d'adepte de la religion juive ou de la religion islamique, de personne morale qui défend les intérêts de la communauté juive ou islamique en Belgique, d'organe représentatif des communautés religieuses concernées, de membre du conseil d'administration d'un tel organe représentatif, de ministre du culte ou de personne physique ou morale dont les activités professionnelles dépendent de la disponibilité de viande casher.

B.11.2. Pour la même raison que celle qui a été exposée en B.6, les parties intervenantes concernées justifient en principe d'un intérêt suffisant à leur intervention.

B.11.3. La partie intervenante Moishe Friedman fait valoir qu'il est un adepte de la religion juive et qu'il intervient pour défendre le décret attaqué. Il considère qu'il a un intérêt à son intervention parce qu'il souhaite consommer de la viande casher provenant d'animaux abattus conformément aux véritables préceptes de la religion juive, ce qui suppose notamment, selon lui, que l'animal a effectivement dû être étourdi avant d'être abattu.

B.11.4. Les parties requérantes dans les affaires nos 6816 et 6819 contestent l'intérêt de Moishe Friedman à intervenir. Elles estiment qu'en ce que le décret attaqué n'interdit pas à ce dernier de consommer de la viande provenant d'animaux étourdis lors de leur abattage, il ne pourrait lui-même être directement affecté par une décision de la Cour.

B.12. En ce que Moishe Friedman fait valoir, d'une part, que les préceptes de la religion juive ne s'opposent pas à l'abattage d'animaux étourdis et, d'autre part, qu'une annulation du décret attaqué rendrait plus difficile pour lui l'approvisionnement en viande casher provenant d'animaux étourdis lors de leur abattage, il justifie d'un intérêt suffisant à son intervention.

B.13.1. L'ASBL « Global Action in the Interest of Animals » (ci-après : l'ASBL « GAIA ») estime justifier d'un intérêt à intervenir, en ce qu'aux termes de ses statuts, elle a notamment pour but de protéger les animaux contre la cruauté, les maltraitances et les abus de la part d'êtres humains, de défendre les droits des animaux, entre autres leurs droits à une vie et une mort dignes, à un traitement respectueux et à la protection légale de leur vie et de leur bien-être, et de lutter pour une législation qui réponde de mieux en mieux aux intérêts et aux droits des animaux. Elle précise qu'elle lutte depuis des années déjà contre l'abattage des animaux sans étourdissement et que la Cour a admis, par le passé, son intérêt à intervenir dans une affaire.

B.13.2. Les parties requérantes dans l'affaire n° 6819 contestent l'intérêt de l'ASBL « GAIA » à son intervention. Elles estiment que l'ASBL « GAIA » ne pourrait être directement affectée par une décision de la Cour.

B.13.3. Lorsqu'une association sans but lucratif qui n'invoque pas son intérêt personnel agit devant la Cour, il est requis que son but statutaire soit d'une nature particulière et, dès lors, distinct de l'intérêt général; qu'elle défende un intérêt collectif; que la norme attaquée soit susceptible d'affecter son but; qu'il n'apparaisse pas, enfin, que ce but n'est pas ou n'est plus réellement poursuivi.

B.13.4. En ce que l'ASBL « GAIA », renvoyant à ses statuts et à ses activités, fait valoir qu'elle a pour but de défendre les droits et les intérêts des animaux, elle justifie d'un intérêt suffisant à son intervention.

B.14. Les griefs invoqués par les parties intervenantes ne peuvent être pris en considération que dans la mesure où ils correspondent aux moyens formulés dans les requêtes. En effet, l'article 87, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle ne permet pas, contrairement à l'article 85, que de nouveaux moyens soient formulés dans un mémoire en intervention.

Quant au fond B.15. Dans leurs moyens, les parties requérantes dans les affaires nos 6816, 6818, 6819, 6820 et 6821 invoquent en substance la violation : (1) du règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort (ci-après : le règlement (CE) n° 1099/2009), lu en combinaison avec le principe d'égalité et de non-discrimination, en ce que les croyants juifs et islamiques seraient privés de la garantie, contenue dans l'article 4, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1099/2009, selon laquelle les abattages rituels ne peuvent être soumis à la condition d'étourdissement préalable et en ce que le décret attaqué n'aurait pas été notifié à temps à la Commission européenne, en violation de l'article 26, paragraphe 2, du règlement précité (quatrième moyen dans l'affaire n° 6816, premier moyen dans l'affaire n° 6820 et premier moyen dans l'affaire n° 6821);(2) de la liberté de religion, en ce qu'il deviendrait impossible pour les croyants juifs et pour les croyants islamiques, d'une part, d'abattre des animaux conformément aux préceptes de leur religion et, d'autre part, de se procurer de la viande provenant d'animaux abattus conformément à ces préceptes religieux (première et deuxième branches du premier moyen dans l'affaire n° 6816, première branche du premier moyen dans l'affaire n° 6818, premier moyen dans l'affaire n° 6819, deuxième moyen dans l'affaire n° 6820 et deuxième moyen dans l'affaire n° 6821);(3) du principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, en ce que les dispositions attaquées prescriraient de quelle manière un rite religieux doit être accompli (troisième branche du premier moyen dans l'affaire n° 6816, deuxième branche du premier moyen dans l'affaire n° 6818, troisième moyen dans l'affaire n° 6820 et troisième moyen dans l'affaire n° 6821);(4) du droit au travail et au libre choix d'une activité professionnelle, de la liberté d'entreprendre et de la libre circulation des marchandises et des services, en ce qu'il deviendrait impossible pour les abatteurs religieux d'exercer leur activité professionnelle, en ce qu'il deviendrait impossible pour les bouchers et pour les boucheries de proposer à leurs clients de la viande dont ils peuvent garantir qu'elle provient d'animaux abattus conformément aux préceptes religieux, et en ce qu'il y aurait une distorsion de la concurrence entre les abattoirs établis en Région flamande et les abattoirs établis dans la Région de Bruxelles-Capitale ou dans un autre Etat membre de l'Union européenne qui autorise l'abattage d'animaux sans étourdissement (deuxième moyen dans l'affaire n° 6816 et troisième moyen dans l'affaire n° 6818);(5) du principe d'égalité et de non-discrimination, en ce que - sans qu'il existe une justification raisonnable, les croyants juifs et les croyants islamiques seraient traités, de la même manière que les personnes qui ne sont pas soumises aux préceptes alimentaires spécifiques d'une religion (première branche du troisième moyen dans l'affaire n° 6816, deuxième branche du deuxième moyen dans l'affaire n° 6818, premier moyen dans l'affaire n° 6820 et premier moyen dans l'affaire n° 6821); - les personnes qui tuent des animaux en pratiquant la chasse ou la pêche ou dans le cadre de la lutte contre les organismes nuisibles, d'une part, et les personnes qui tuent des animaux en recourant à des méthodes d'abattage particulières prescrites par un rite religieux, d'autre part, seraient traitées de manière différente, sans qu'existe une justification raisonnable (troisième branche du troisième moyen dans l'affaire n° 6816, première branche du deuxième moyen dans l'affaire n° 6818, troisième moyen dans l'affaire n° 6819, quatrième moyen dans l'affaire n° 6820 et quatrième moyen dans l'affaire n° 6821); et - les croyants juifs et les croyants islamiques seraient traités de la même manière, sans qu'existe une justification raisonnable (deuxième branche du troisième moyen dans l'affaire n° 6816 et deuxième moyen dans l'affaire n° 6819).

En ce qui concerne le règlement (CE) n° 1099/2009 B.16. Le premier moyen dans les affaires nos 6820 et 6821 est pris, entre autres, de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 4, paragraphe 4, et 26, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1099/2009, en ce que les dispositions attaquées priveraient les croyants juifs et les croyants islamiques de la garantie, contenue dans le règlement précité, selon laquelle les abattages rituels ne peuvent être soumis à la condition d'étourdissement préalable.

Le quatrième moyen dans l'affaire n° 6816 est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 26, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1099/2009 et avec les articles 10, 20, 21 et 22 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en ce que le décret attaqué n'aurait pas été notifié à temps à la Commission européenne. Les parties requérantes dans les affaires nos 6820 et 6821 formulent un grief similaire dans le développement de leur premier moyen.

B.17. Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu'en soit l'origine : les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination sont applicables à l'égard de tous les droits et de toutes les libertés, y compris ceux qui résultent des conventions internationales liant la Belgique.

B.18.1. C'est en l'espèce la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec des dispositions du règlement (CE) n° 1099/2009, qui est alléguée.

B.18.2. Le règlement (CE) n° 1099/2009 contient, en vertu de son article 1, paragraphe 1, premier alinéa, « des règles applicables à la mise à mort des animaux élevés ou détenus pour la production de denrées alimentaires, de laine, de peau, de fourrure ou d'autres produits ainsi qu'à la mise à mort des animaux à des fins de dépeuplement et aux opérations annexes ». Toutefois, en ce qui concerne les poissons, seules s'appliquent les prescriptions énoncées à l'article 3, paragraphe 1 (article 1, paragraphe 1, deuxième alinéa), selon lesquelles toute douleur, détresse ou souffrance évitable est épargnée aux animaux lors de la mise à mort et des opérations annexes.

Aux termes de l'article 1, paragraphe 3, le règlement ne s'applique pas, entre autres, lorsque des animaux sont tués lors d'activités de chasse ou de pêche récréative ou lors de manifestations culturelles ou sportives.

B.18.3. Les considérants du règlement précité font apparaître que le législateur européen a voulu, d'une part, promouvoir le bien-être des animaux et, d'autre part, établir des règles communes afin de garantir le développement rationnel du marché intérieur pour les produits d'origine animale (considérants 4 et 5).

Le considérant 4 ajoute à cela que « le bien-être des animaux est une valeur communautaire » et que cette valeur « est consacrée dans le protocole n° 33 sur la protection et le bien-être des animaux annexé au traité instituant la Communauté européenne (' Protocole n° 33 ') ».

Depuis lors, l'article 13 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dispose : « Lorsqu'ils formulent et mettent en oeuvre la politique de l'Union dans les domaines de l'agriculture, de la pêche, des transports, du marché intérieur, de la recherche et développement technologique et de l'espace, l'Union et les Etats membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu'êtres sensibles, tout en respectant les dispositions législatives ou administratives et les usages des Etats membres en matière notamment de rites religieux, de traditions culturelles et de patrimoines régionaux ».

B.18.4. L'article 4, paragraphes 1 et 4, du règlement (CE) n° 1099/2009 dispose : « 1. Les animaux sont mis à mort uniquement après étourdissement selon les méthodes et les prescriptions spécifiques relatives à leur application exposées à l'annexe I. L'animal est maintenu dans un état d'inconscience et d'insensibilité jusqu'à sa mort.

Les méthodes visées à l'annexe I qui n'entraînent pas la mort instantanée (ci-après dénommées ' simple étourdissement ') sont suivies aussitôt que possible d'un procédé provoquant infailliblement la mort, comme la saignée, le jonchage, l'électrocution ou l'anoxie prolongée. [...] 4. Pour les animaux faisant l'objet de méthodes particulières d'abattage prescrites par des rites religieux, les prescriptions visées au paragraphe 1 ne sont pas d'application pour autant que l'abattage ait lieu dans un abattoir ». B.19.1. En vertu de l'article 4, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1099/2009, les animaux doivent donc en principe être étourdis avant d'être abattus, c'est-à-dire maintenus dans un état d'inconscience et d'insensibilité jusqu'à leur mort.

Par « étourdissement », on entend « tout procédé appliqué intentionnellement qui provoque une perte de conscience et de sensibilité sans douleur, y compris tout procédé entraînant une mort immédiate » (article 2, f), du règlement (CE) n° 1099/2009).

Il peut être déduit du considérant 20 du règlement (CE) n° 1099/2009 que le législateur européen a jugé l'étourdissement nécessaire car « beaucoup de méthodes de mise à mort sont douloureuses pour les animaux » et que l'étourdissement permet de provoquer un état d'inconscience et une perte de sensibilité de l'animal au moment de sa mise à mort.

B.19.2. L'article 4, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1099/2009 contient, en ce qui concerne l'obligation de principe d'étourdir l'animal avant de l'abattre, une exception qui vaut pour l'abattage d'animaux selon des méthodes particulières prescrites par des rites religieux. Toutefois, l'abattage rituel sans étourdissement préalable n'est autorisé que dans un abattoir, c'est-à-dire dans un « établissement utilisé pour l'abattage d'animaux terrestres qui relève du champ d'application du règlement (CE) n° 853/2004 » (article 2, k), du règlement).

Par « rite religieux », il y a lieu d'entendre, selon l'article 2, g), du règlement, « une série d'actes associés à l'abattage d'animaux et prescrits par une religion ».

B.19.3. Il ressort du considérant 18 du règlement que l'exception concernée est dictée par l'objectif de respecter la liberté de religion, garantie par l'article 10 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

A ce sujet, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé : « 56. A cet égard, il importe de préciser que la dérogation autorisée par l'article 4, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1099/2009 n'établit aucune interdiction de l'exercice de la pratique de l'abattage rituel dans l'Union, mais elle concrétise, au contraire, l'engagement positif du législateur de l'Union de permettre la pratique de l'abattage d'animaux sans étourdissement préalable, afin d'assurer le respect effectif de la liberté de religion, notamment des pratiquants musulmans, pendant la fête du sacrifice. 57. Une telle interprétation est confirmée par le considérant 18 du règlement (CE) n° 1099/2009, lequel énonce clairement que ce règlement établit une dérogation expresse à l'exigence d'étourdissement des animaux préalablement à l'abattage, aux fins précisément d'assurer le respect de la liberté de religion et du droit de manifester sa religion ou ses convictions par les pratiques et l'accomplissement des rites, tel que le prévoit l'article 10 de la Charte » (CJUE, grande chambre, 29 mai 2018, C-426/16, Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen VZW e.a.).

B.20.1. L'article 10, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dispose : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites ».

L'article 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dispose : « 1. Toute limitation de l'exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui. 2. Les droits reconnus par la présente Charte qui font l'objet de dispositions dans les traités s'exercent dans les conditions et limites définies par ceux-ci.3. Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention.Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l'Union accorde une protection plus étendue. [...] ».

B.20.2. La liberté de religion garantie par l'article 10, paragraphe 1, de la Charte comprend, entre autres, la liberté de toute personne de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public, ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des différents rites qu'elle comporte (CJUE, grande chambre, 14 mars 2017, C-157/15, Samira Achbita e.a., point 27; grande chambre, 14 mars 2017, C-188/15, Asma Bougnaoui e.a., point 29; grande chambre, 29 mai 2018, C-426/16, Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen VZW e.a., point 43).

B.20.3. La Cour de justice a jugé que le droit garanti par l'article 10, paragraphe 1, de la Charte correspond au droit garanti par l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme et que, conformément à l'article 52, paragraphe 3, de la Charte, il a le même sens et la même portée que celui-ci (CJUE, grande chambre, 14 mars 2017, C-157/15, Samira Achbita e.a., point 27; grande chambre, 14 mars 2017, C-188/15, Asma Bougnaoui e.a., point 29).

La Cour de justice en a notamment déduit que la notion de « religion » contenue dans la Charte comme dans la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH, 12 avril 2007, Ivanova c. Bulgarie, § 78; 15 janvier 2013, Eweida e.a. c. Royaume-Uni, § 80), peut couvrir tant le forum internum, à savoir le fait d'avoir des convictions, que le forum externum, à savoir la manifestation en public de la foi religieuse (CJUE, grande chambre, 14 mars 2017, C-157/15, Samira Achbita e.a., point 28; grande chambre, 14 mars 2017, C-188/15, Asma Bougnaoui e.a., point 30; grande chambre, 29 mai 2018, C-426/16, Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen VZW e.a., point 44).

Alors que le droit d'avoir des convictions religieuses (forum internum) est absolu, le droit de manifester sa foi religieuse (forum externum) peut être soumis à des restrictions, dans les limites fixées par l'article 9, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'homme et par l'article 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (CEDH, 12 avril 2007, Ivanova c. Bulgarie, § 79; 15 janvier 2013, Eweida e.a. c. Royaume-Uni, § 80).

B.20.4. Bien que l'on ne puisse considérer tout acte inspiré, motivé ou influencé d'une manière ou d'une autre par une religion comme étant une manifestation en public d'une conviction religieuse (CEDH, grande chambre, 10 novembre 2005, Leyla sahin c. Turquie, § 78; 15 janvier 2013, Eweida e.a. c. Royaume-Uni, § 82), tant la Cour européenne des droits de l'homme que la Cour de justice de l'Union européenne ont jugé que les méthodes particulières d'abattage prescrites par des rites religieux relèvent du champ d'application de la liberté de religion (CEDH, grande chambre, 27 juin 2000, Cha'are Shalom Ve Tsedek c. France, § 74;CJUE, grande chambre, 29 mai 2018, C-426/16, Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen VZW e.a., point 45).

Selon la Cour européenne des droits de l'homme, le respect de préceptes alimentaires religieux peut être considéré comme une manifestation en public d'une conviction religieuse, au sens de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH, 7 décembre 2010, Jakóbski c. Pologne, § 45; 17 décembre 2013, Vartic c.

Roumanie, § 35), et l'abattage rituel vise à fournir aux fidèles concernés une viande provenant d'animaux abattus conformément à leurs convictions religieuses (CEDH, grande chambre, 27 juin 2000, Cha'are Shalom Ve Tsedek c. France, § 73). Dans l'arrêt précité du 27 juin 2000, la Cour européenne des droits de l'homme a ajouté à ce propos que, lorsque les croyants ne sont pas privés de la possibilité de se procurer et de manger de la viande provenant d'animaux abattus conformément à leurs convictions religieuses, le droit à la liberté de religion ne saurait aller jusqu'à englober le droit de procéder personnellement à un abattage rituel (CEDH, grande chambre, 27 juin 2000, Cha'are Shalom Ve Tsedek c. France, § 82).

B.21.1. L'article 26, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1099/2009 dispose : « Les Etats membres peuvent adopter des règles nationales visant à assurer aux animaux, au moment de leur mise à mort, une plus grande protection que celle prévue par le présent règlement dans les domaines suivants : a) la mise à mort des animaux et les opérations annexes effectuées en dehors d'un abattoir; b) l'abattage de gibier d'élevage au sens du point 1.6 de l'annexe I du règlement (CE) n° 853/2004, y compris les rennes, et les opérations annexes; c) l'abattage d'animaux conformément à l'article 4, paragraphe 4, et les opérations annexes. Les Etats membres notifient à la Commission toute règle nationale de ce type. La Commission les porte à la connaissance des autres Etats membres ».

B.21.2. L'article 26, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1099/2009 permet ainsi aux Etats membres d'adopter des règles nationales visant à assurer aux animaux, au moment de leur mise à mort, une plus grande protection que celle qui est prévue par les dispositions du règlement, et ce, entre autres, dans le domaine de l'abattage d'animaux et des opérations annexes conformément à l'article 4, paragraphe 4, à savoir les abattages réalisés selon des méthodes particulières prescrites par des rites religieux.

Le considérant 57 du règlement expose ce qui suit : « Les citoyens européens attendent que des règles minimales en matière de bien-être des animaux soient respectées lors de l'abattage de ceux-ci. Dans certains domaines, les attitudes vis-à-vis des animaux sont également dictées par les perceptions nationales et, dans certains Etats membres, il est demandé de maintenir ou d'adopter des règles en matière de bien-être plus poussées que celles approuvées au niveau communautaire. Dans l'intérêt des animaux et pour autant que le fonctionnement du marché intérieur n'en soit pas affecté, il convient de permettre une certaine flexibilité aux Etats membres afin qu'ils maintiennent ou, dans certains domaines spécifiques, adoptent des règles nationales plus poussées. [...] ».

Le considérant 18 du règlement expose ce qui suit : « La directive 93/119/CE [qui a été abrogée par le règlement (CE) n° 1099/2009] prévoyait une dérogation à l'obligation d'étourdissement en cas d'abattage rituel se déroulant à l'abattoir. Etant donné que les dispositions communautaires applicables aux abattages rituels ont été transposées de manière différente selon les contextes nationaux et que les dispositions nationales prennent en considération des dimensions qui transcendent l'objectif du présent règlement, il importe de maintenir la dérogation à l'exigence d'étourdissement des animaux préalablement à l'abattage, en laissant toutefois un certain degré de subsidiarité à chaque Etat membre [...] ».

B.21.3. Il ressort de ce qui précède que les Etats membres de l'Union européenne disposent, en vertu de l'article 26, paragraphe 2, premier alinéa, c), du règlement (CE) n° 1099/2009, d'une certaine liberté d'action pour ce qui est de l'adoption de règles nationales relatives aux abattages rituels visant à assurer aux animaux une plus grande protection que celle qui est prévue par le règlement.

B.22.1. En vertu du second alinéa de l'article 26, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1099/2009, les Etats membres notifient à la Commission européenne les mesures nationales qu'ils adoptent en vertu du premier alinéa de cette disposition et la Commission porte ces mesures à la connaissance des autres Etats membres.

B.22.2. Le Gouvernement flamand a fait savoir à la Cour que le décret attaqué a été notifié à la Commission européenne le 29 novembre 2017, conformément à l'article 26, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1099/2009.

B.22.3. Eu égard à la nature de l'obligation de notification prévue à l'article 26, paragraphe 2, second alinéa, du règlement (CE) n° 1099/2009, et au fait que l'article 26, paragraphe 2, second alinéa, ne prévoit pas de délai en ce qui concerne la notification visée, et compte tenu du fait que la « règle nationale » visant à assurer aux animaux une plus grande protection au moment de leur mise à mort que celle qui est prévue par le règlement entré, en l'espèce, en vigueur le 1er janvier 2019 (article 6 du décret attaqué) ou, en ce qui concerne l'abattage de bovins, à une date ultérieure à fixer par le Gouvernement flamand (article 45ter de la loi du 14 août 1986, tel qu'il a été inséré par l'article 5 du décret attaqué), il n'apparaît pas que le décret attaqué a été notifié tardivement à la Commission européenne.

B.23.1. Par ailleurs, les parties requérantes dans les affaires nos 6820 et 6821 font valoir que les Etats membres de l'Union européenne ne peuvent utiliser l'article 26, paragraphe 2, premier alinéa, c), du règlement (CE) n° 1099/2009 pour vider de son sens l'exception à l'obligation de pratiquer l'étourdissement lors de l'abattage, qui est prévue à l'article 4, paragraphe 4, de ce règlement.

Le Gouvernement flamand et le Gouvernement wallon considèrent au contraire que l'article 26, paragraphe 2, premier alinéa, c), du règlement (CE) n° 1099/2009 habilite expressément les Etats membres à s'écarter de la disposition contenue dans l'article 4, paragraphe 4, du règlement, et ils invoquent la première disposition dans le cadre de leur argumentation en ce qui concerne la compatibilité du décret attaqué avec la liberté de religion.

B.23.2. Ainsi qu'il a été dit en B.19.3, l'exception, contenue dans l'article 4, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1099/2009, à l'obligation de principe d'étourdir l'animal avant de l'abattre est inspirée de l'objectif de respecter la liberté de religion, garantie par l'article 10, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. L'article 26, paragraphe 2, premier alinéa, c), du règlement (CE) n° 1099/2009 habilite les Etats membres, en vue de la promotion du bien-être animal, à déroger à la disposition contenue dans l'article 4, paragraphe 4, du règlement, et ne précise pas, à cet égard, les limites que les Etats membres de l'Union européenne devraient observer.

B.23.3. La question se pose donc de savoir si l'article 26, paragraphe 2, premier alinéa, c), du règlement (CE) n° 1099/2009 peut être interprété en ce sens qu'il autorise les Etats membres de l'Union européenne à adopter des règles nationales telles que celles qui sont contenues dans le décret attaqué, et si, dans cette interprétation, cette disposition est compatible avec la liberté de religion garantie par l'article 10, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

B.24.1. Le décret attaqué abroge, à compter du 1er janvier 2019, l'exception à l'obligation d'étourdir les animaux, qui valait auparavant pour l'abattage effectué conformément à un rite religieux.

Il ressort des travaux préparatoires cités en B.2.5 que le législateur décrétal est parti du principe que l'abattage sans étourdissement cause à l'animal une souffrance évitable. Par le décret attaqué, le législateur décrétal a donc voulu promouvoir le bien-être des animaux.

B.24.2. Il ressort également des travaux préparatoires que le législateur décrétal, conscient que le décret attaqué touche à la liberté de religion, a recherché un équilibre entre, d'une part, son objectif de promouvoir le bien-être des animaux et, d'autre part, le respect de la liberté de religion.

Afin de répondre autant que possible aux souhaits des communautés religieuses concernées (Doc. parl., Parlement flamand, 2016-2017, n° 1213-1, pp. 15-16), il a inclus, dans le décret attaqué, une disposition selon laquelle le procédé d'étourdissement doit être réversible et ne peut entraîner la mort de l'animal, lorsque la mise à mort fait l'objet de méthodes particulières d'abattage prescrites par un rite religieux (article 15, § 2, de la loi du 14 août 1986, tel qu'il a été remplacé par l'article 3 du décret attaqué).

Les travaux préparatoires font apparaître que le législateur décrétal a considéré que cette disposition répondait aux souhaits des communautés religieuses, en ce que lorsqu'il est fait application de la technique de l'étourdissement réversible, les préceptes religieux imposant que l'animal ne soit pas mort au moment de son abattage et qu'il se vide complètement de son sang sont respectés (Doc. parl., Parlement flamand, 2016-2017, n° 1213-1, p. 16; Ann., Parlement flamand, 28 juin 2017, p. 83).

B.24.3. Compte tenu des objectifs poursuivis par le législateur décrétal et contrairement à ce que prétendent les parties requérantes dans l'affaire n° 6816, la disposition contenue dans l'article 15, § 2, de la loi du 14 août 1986, tel qu'il a été remplacé par l'article 3 du décret attaqué, ne saurait raisonnablement être interprétée en ce sens qu'il est permis d'attendre que l'effet de l'étourdissement réversible s'estompe avant d'abattre l'animal.

Etant donné l'intention du législateur décrétal de satisfaire autant que possible aux souhaits de certaines communautés religieuses, cette disposition ne saurait davantage être interprétée en ce sens qu'elle oblige toutes les communautés religieuses à appliquer la technique de l'étourdissement réversible lors de l'abattage d'animaux effectué dans le cadre d'un rite religieux. L'article 15, § 2, de la loi du 14 août 1986, tel qu'il a été remplacé par l'article 3 du décret attaqué, doit ainsi être interprété en ce sens qu'il propose une méthode d'étourdissement alternative.

B.24.4. Il apparaît également que le législateur décrétal a considéré que le décret attaqué n'a pas d'incidence sur la possibilité, pour les croyants, de se procurer de la viande provenant d'animaux abattus conformément aux préceptes religieux, étant donné qu'aucune disposition n'interdit l'importation d'une telle viande en Région flamande (Doc. parl., Parlement flamand, 2016-2017, n° 1213-1, p. 13).

Dans ce cadre, le législateur décrétal a souligné qu'une telle interdiction d'importation serait contraire à l'article 26, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1099/2009 (ibid.), qui dispose : « Un Etat membre ne peut pas interdire ou entraver la mise en circulation sur son territoire de produits d'origine animale provenant d'animaux qui ont été mis à mort dans un autre Etat membre au motif que les animaux concernés n'ont pas été mis à mort d'une manière conforme à sa réglementation nationale qui vise à assurer une plus grande protection des animaux au moment de leur mise à mort ».

En ce qui concerne la possibilité d'importer en Région flamande de la viande provenant d'animaux abattus conformément à des préceptes religieux, il y a lieu de tenir compte, dans le contexte belge, du fait que l'exception à l'obligation d'étourdir l'animal, qui était auparavant applicable à l'abattage d'animaux effectué dans le cadre d'un rite religieux, est également abrogée en Région wallonne à compter du 1er septembre 2019 (article D.57 du décret de la Région wallonne du 4 octobre 2018 relatif au Code wallon du Bien-être des animaux). Dans la Région de Bruxelles-Capitale, l'exception précitée n'a pas été abrogée.

B.24.5. Tant les parties requérantes que les parties institutionnelles qui agissent pour défendre le décret attaqué puisent des arguments dans le fait qu'en ce qui concerne l'étourdissement de l'animal, l'abattage d'animaux effectué dans le cadre d'un rite religieux fait l'objet de règles différentes dans les différents Etats membres de l'Union européenne.

Dans ce cadre, les parties requérantes font valoir que de plus en plus d'Etats membres interdisent l'abattage d'animaux sans étourdissement et que certains Etats membres interdisent l'exportation de viande provenant d'animaux abattus conformément à des préceptes religieux, et elles en déduisent que l'approvisionnement en viande de ce type est compromis en Région flamande. A cet égard, elles font également valoir que la certification de la viande importée ne permet pas de savoir avec certitude si la viande provient effectivement d'animaux abattus conformément aux préceptes religieux en question.

Les parties institutionnelles qui agissent pour défendre le décret attaqué estiment que ce dernier ne compromet pas l'approvisionnement en viande provenant d'animaux abattus conformément à des préceptes religieux, étant donné l'absence d'une interdiction générale d'abattre des animaux sans étourdissement dans plusieurs Etats membres de l'Union européenne, ainsi que le fait que le commerce de viande ne s'arrête pas aux frontières de l'Union européenne.

B.25. L'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne habilite la Cour de justice à statuer, à titre préjudiciel, aussi bien sur l'interprétation des conventions et des actes des institutions de l'Union européenne que sur la validité de ces actes.

En vertu du troisième alinéa de cette disposition, une juridiction nationale est tenue de saisir la Cour de justice lorsque ses décisions - comme celles de la Cour constitutionnelle - ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne. En cas de doute sur l'interprétation ou sur la validité d'une disposition du droit de l'Union européenne importante pour la solution d'un litige pendant devant une telle juridiction nationale, celle-ci doit, même d'office, poser une question préjudicielle à la Cour de justice.

Avant de statuer quant au fond, il convient dès lors de poser à la Cour de justice de l'Union européenne les première et deuxième questions préjudicielles énoncées dans le dispositif.

B.26.1. Dans le cadre de leur premier moyen, les parties requérantes dans les affaires nos 6820 et 6821 font également valoir que l'article 26, paragraphe 2, premier alinéa, c), du règlement (CE) n° 1099/2009, interprété en ce sens qu'il autorise les Etats membres de l'Union européenne à prendre des mesures telles que celles qui sont contenues dans le décret attaqué, viole le principe d'égalité et de non-discrimination, garanti par les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et le principe de la diversité religieuse, garanti par l'article 22 de cette Charte, en ce que le règlement ne prévoit qu'une exception conditionnelle à l'obligation de l'étourdissement préalable pour l'abattage d'animaux conformément à des méthodes rituelles (article 4, paragraphe 4, juncto l'article 26, paragraphe 2), alors qu'il dispense complètement de cette même obligation la mise à mort d'animaux dans le cadre de la chasse, de la pêche récréative et de manifestations culturelles et sportives (article 1, paragraphe 3).

B.26.2. L'article 20 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dispose : « Toutes les personnes sont égales en droit ».

L'article 21 de la Charte dispose : « 1. Est interdite, toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle. 2. Dans le domaine d'application des traités et sans préjudice de leurs dispositions particulières, toute discrimination exercée en raison de la nationalité est interdite ». L'article 22 de la Charte dispose : « L'Union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique ».

B.26.3. Ainsi qu'il a été dit en B.18.2, le règlement (CE) n° 1099/2009 n'est pas applicable, en vertu de son article 1, paragraphe 3, lorsque des animaux sont mis à mort dans le cadre de la chasse ou de la pêche récréative ou lors de manifestations culturelles ou sportives. Cela suppose que l'obligation d'étourdir l'animal lors de son abattage, contenue dans l'article 4, paragraphe 1, n'est pas applicable dans le cadre des activités précitées. En vertu de l'article 1, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement (CE) n° 1099/2009, l'obligation d'étourdir l'animal ne s'applique ni à la pêche récréative, ni à d'autres formes de pêche.

B.26.4. Les considérants du règlement (CE) n° 1099/2009 exposent, en la matière : « (11) Les poissons sont physiologiquement très différents des animaux terrestres, et les poissons d'élevage sont abattus et mis à mort dans un contexte très différent, notamment en ce qui concerne la procédure d'inspection. En outre, la recherche sur l'étourdissement des poissons est beaucoup moins avancée que pour les autres espèces d'élevage. Il conviendrait d'établir des normes distinctes pour la protection des poissons au moment de leur mise à mort. Par conséquent, les dispositions applicables aux poissons devraient pour le moment se limiter aux principes clés. [...] (14) Les activités de chasse ou de pêche récréative se déroulent dans un contexte où les conditions de mise à mort sont très différentes de celles que connaissent les animaux d'élevage, et la chasse fait l'objet d'une législation spécifique.Il y a donc lieu d'exclure du champ d'application du présent règlement les mises à mort se déroulant lors d'activités de chasse ou de pêche récréative. (15) Le protocole (n° 33) souligne aussi la nécessité de respecter les dispositions législatives ou administratives ainsi que les coutumes des Etats membres, notamment en ce qui concerne les rites religieux, les traditions culturelles et le patrimoine régional, dans la formulation et la mise en oeuvre des politiques communautaires relatives, entre autres, à l'agriculture et au marché intérieur.Dès lors, il convient d'exclure du champ d'application du présent règlement les manifestations culturelles lorsque le respect des exigences en matière de bien-être animal altérerait la nature même de la manifestation concernée. (16) En outre, les traditions culturelles se rapportent à un mode de pensée, d'action ou de comportement hérité, établi ou coutumier, qui implique en fait la notion de transmission par un prédécesseur.Elles contribuent à entretenir les liens sociaux qui existent de longue date entre les générations. Dès lors que ces activités n'ont pas d'incidence sur le marché des produits d'origine animale et ne sont pas motivées par des objectifs de production, il y a lieu d'exclure du champ d'application du présent règlement la mise à mort d'animaux se déroulant au cours de ce type de manifestations ».

B.26.5. Le grief des parties requérantes exposé en B.26.1 porte sur le règlement (CE) n° 1099/2009, mais il rejoint plusieurs des moyens invoqués contre le décret attaqué, en particulier la troisième branche du troisième moyen dans l'affaire n° 6816, la première branche du deuxième moyen dans l'affaire n° 6818, le quatrième moyen dans l'affaire n° 6820 et le quatrième moyen dans l'affaire n° 6821.

En substance, ces moyens sont pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'en prévoyant une exception à l'obligation d'étourdir l'animal dans le cadre de la chasse, de la pêche et de la lutte contre les organismes nuisibles (article 15, § 1er, alinéa 2, de la loi du 14 août 1986, tel qu'il a été remplacé par l'article 3 du décret attaqué), le décret attaqué traiterait différemment, sans qu'existe une justification raisonnable, les personnes qui tuent des animaux en pratiquant la chasse ou la pêche ou dans le cadre de la lutte contre les organismes nuisibles, d'une part, et les personnes qui tuent des animaux conformément à des méthodes particulières d'abattage prescrites par le rite d'un culte, d'autre part.

B.26.6. Le Gouvernement flamand et le Gouvernement wallon estiment que ces moyens dirigés contre le décret attaqué ne sont pas fondés et ils défendent leur point de vue en renvoyant au règlement (CE) n° 1099/2009 et en formulant des arguments similaires à ceux qui ont été développés aux considérants 11, 14, 15 et 16 du règlement (CE) n° 1099/2009, cités en B.26.4.

B.27. Avant de statuer quant au fond, la Cour doit dès lors poser à la Cour de justice de l'Union européenne la troisième question préjudicielle énoncée dans le dispositif.

B.28. Eu égard à la nature de l'affaire, il n'y a pas lieu d'accéder à la demande des parties requérantes dans l'affaire n° 6816 et de la SPRL « Kosher Poultry » et autres, parties intervenantes, d'inviter la Cour de justice de l'Union européenne à répondre aux questions posées conformément à la procédure accélérée, visée à l'article 105 du règlement de procédure de la Cour de justice.

Par ces motifs, la Cour, avant de statuer quant au fond, pose à la Cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles suivantes : 1. L'article 26, paragraphe 2, premier alinéa, c), du règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort doit-il être interprété en ce sens qu'il autorise les Etats membres, par dérogation à la disposition contenue dans l'article 4, paragraphe 4, de ce règlement et en vue de promouvoir le bien-être des animaux, à adopter des règles telles que celles qui sont contenues dans le décret de la Région flamande du 7 juillet 2017 « portant modification de la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux, en ce qui concerne les méthodes autorisées pour l'abattage des animaux », règles qui prévoient, d'une part, une interdiction de l'abattage d'animaux sans étourdissement applicable également à l'abattage effectué dans le cadre d'un rite religieux et, d'autre part, un procédé d'étourdissement alternatif pour l'abattage effectué dans le cadre d'un rite religieux, fondé sur l'étourdissement réversible et sur le précepte selon lequel l'étourdissement ne peut entraîner la mort de l'animal ? 2.Si la première question préjudicielle appelle une réponse affirmative, l'article 26, paragraphe 2, premier alinéa, c), du règlement précité viole-t-il, dans l'interprétation exposée dans la première question, l'article 10, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ? 3. Si la première question préjudicielle appelle une réponse affirmative, l'article 26, paragraphe 2, premier alinéa, c), lu en combinaison avec l'article 4, paragraphe 4, du règlement précité viole-t-il, dans l'interprétation exposée dans la première question, les articles 20, 21 et 22 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en ce qu'il ne prévoit, pour l'abattage d'animaux conformément à des méthodes particulières prescrites par des rites religieux, qu'une exception conditionnelle à l'obligation d'étourdir l'animal (article 4, paragraphe 4, juncto l'article 26, paragraphe 2), alors qu'il est prévu, pour la mise à mort d'animaux dans le cadre de la chasse, de la pêche et de manifestations culturelles et sportives, pour les raisons exposées dans les considérants du règlement, des dispositions selon lesquelles ces activités ne relèvent pas du champ d'application du règlement ou ne sont pas soumises à l'obligation d'étourdir l'animal lors de sa mise à mort (article 1, paragraphe 1, deuxième alinéa, et paragraphe 3) ? Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 4 avril 2019. Le greffier, Le président, F. Meersschaut A. Alen

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