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Arrêt
publié le 12 mars 2020

Extrait de l'arrêt n° 30/2020 du 20 février 2020 Numéro du rôle : 7084 En cause : le recours en annulation de l'article 167, 7°, de la loi du 18 juin 2018 « portant dispositions diverses en matière de droit civil et des dispositions en vue de La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 30/2020 du 20 février 2020 Numéro du rôle : 7084 En cause : le recours en annulation de l'article 167, 7°, de la loi du 18 juin 2018Documents pertinents retrouvés type loi prom. 18/06/2018 pub. 02/07/2018 numac 2018012858 source service public federal justice Loi portant dispositions diverses en matière de droit civil et des dispositions en vue de promouvoir des formes alternatives de résolution des litiges fermer « portant dispositions diverses en matière de droit civil et des dispositions en vue de promouvoir des formes alternatives de résolution des litiges » (modification de l'article 577-7 du Code civil), introduit par la SA « Service & Development Group Belgium ».

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Moerman, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen et M. Pâques, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du juge émérite E. Derycke, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 20 décembre 2018 et parvenue au greffe le 21 décembre 2018, la SA « Service & Development Group Belgium », assistée et représentée par Me F. Baudoncq, avocat au barreau de Louvain, a introduit un recours en annulation de l'article 167, 7°, de la loi du 18 juin 2018Documents pertinents retrouvés type loi prom. 18/06/2018 pub. 02/07/2018 numac 2018012858 source service public federal justice Loi portant dispositions diverses en matière de droit civil et des dispositions en vue de promouvoir des formes alternatives de résolution des litiges fermer « portant dispositions diverses en matière de droit civil et des dispositions en vue de promouvoir des formes alternatives de résolution des litiges » (modification de l'article 577-7 du Code civil), publiée au Moniteur belge du 2 juillet 2018. (...) II. En droit (...) B.1.1. La disposition attaquée est une des dispositions concernées par la réforme du droit des appartements. Ce droit s'applique aux immeubles « dont le droit de propriété est réparti par lots comprenant chacun une partie privative et des éléments immobiliers communs » (article 577-3, alinéa 1er, du Code civil).

La disposition attaquée porte sur les majorités requises à l'assemblée générale de l'association des copropriétaires d'un immeuble à appartements. Les décisions de l'assemblée générale sont prises tantôt à la majorité simple, tantôt à la majorité qualifiée (deux tiers ou quatre cinquièmes des voix), et dans d'autres cas encore, à l'unanimité des voix.

B.1.2. L'article 577-7, § 1er, 2°, du Code civil précise les matières au sujet desquelles l'assemblée générale décide à la majorité des quatre cinquièmes des voix. La disposition attaquée ajoute à ces matières une décision qui, en règle générale, requiert l'unanimité des voix, à savoir la décision de démolition ou de reconstruction totale de l'immeuble.

Cette règle reste inchangée, mais, à partir de l'entrée en vigueur de la disposition attaquée, l'assemblée générale peut décider à la majorité des quatre cinquièmes des voix au sujet : « h) de la démolition ou de la reconstruction totale de l'immeuble, motivée par des raisons de salubrité ou de sécurité ou par le coût excessif par rapport à la valeur de l'immeuble existant d'une mise en conformité de l'immeuble aux dispositions légales. Un copropriétaire peut abandonner, le cas échéant, contre compensation fixée de commun accord ou par le juge, son lot en faveur des autres copropriétaires, si la valeur de celui-ci est inférieure à la quote-part qu'il devrait prendre en charge dans le coût total des travaux. Si les raisons précitées font défaut, la décision de démolition et de reconstruction totale doit être prise à l'unanimité, selon les règles décrites au paragraphe 3 ».

B.1.3. En d'autres termes, la disposition attaquée prévoit une exception à la règle de l'unanimité des voix, lorsque des raisons, fondées, de salubrité ou de sécurité, ou le coût excessif par rapport à la valeur de l'immeuble d'une mise en conformité de l'immeuble aux dispositions légales le justifient. Dans d'autres circonstances, l'unanimité des voix reste requise.

Le rapport de la commission de la Justice de la Chambre mentionne : « Etant donné le vieillissement du parc immobilier, de nombreuses copropriétés ont également besoin d'importants travaux de remise en état ou en auront besoin dans les années à venir. Certains spécialistes mettent en lumière les avantages d'une démolition-reconstruction par rapport à une rénovation traditionnelle.

C'est pourquoi la démolition-reconstruction d'un bâtiment sera possible moyennant une majorité de 4/5 des voix à l'assemblée générale. L'unanimité n'est par conséquent plus nécessaire si le bâtiment doit être démoli pour des raisons d'hygiène ou de sécurité ou si les travaux de mise aux normes légales du bâtiment s'avèrent être extrêmement coûteux. L'objectif est d'améliorer ainsi la qualité de vie et la sécurité des habitants. Les stratégies purement immobilières privant le copropriétaire de sa propriété sont donc exclues » (Doc.

Parl., Chambre, 2017-2018, DOC 54-2919/006, p. 10).

B.1.4. La disposition attaquée est une des dispositions visées par la réforme du droit des appartements, opérée par le titre 6 de la loi du 18 juin 2018Documents pertinents retrouvés type loi prom. 18/06/2018 pub. 02/07/2018 numac 2018012858 source service public federal justice Loi portant dispositions diverses en matière de droit civil et des dispositions en vue de promouvoir des formes alternatives de résolution des litiges fermer « portant dispositions diverses en matière de droit civil et des dispositions en vue de promouvoir des formes alternatives de résolution des litiges », dont les lignes directrices sont « la flexibilisation du fonctionnement de l'association des copropriétaires et de ses organes, l'optimalisation de l'efficacité au sein des associations de copropriétaires, le rééquilibrage au sein de la copropriété et des éclaircissements divers apportés aux copropriétaires » (Doc. parl., Chambre, 2017-2018, DOC 54-2919/001, pp. 3-4).

Ainsi considérée, la disposition attaquée s'inscrit dans le cadre de la politique menée par le législateur, qui, en rendant le processus décisionnel entre copropriétaires plus souple, tend à contribuer à la transition d'immeubles à appartements vétustes vers un parc immobilier moderne et durable et à augmenter ainsi la qualité de vie et la sécurité des habitants.

La démolition et la reconstruction d'immeubles vétustes peuvent, à cet égard, être plus avantageuses qu'une rénovation traditionnelle « en termes de coût, de maîtrise du budget et de performances énergétiques » (ibid., p. 216).

B.2. Le premier moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et avec les principes de bonne réglementation, en particulier avec le principe de la sécurité juridique, avec le principe de la motivation et avec le principe du raisonnable.

B.3.1. Dans la première branche du premier moyen, la partie requérante dénonce tant une identité de traitement qu'une différence de traitement.

L'identité de traitement porte sur l'absence d'une exception pour les petits immeubles à appartements et pour les appartements mis en location ou grevés d'une saisie ou d'une hypothèque.

La différence de traitement concerne une comparaison entre les règles de droit commun de la copropriété forcée (article 577-2, § § 9 et 10, du Code civil) et les règles contenues dans la disposition attaquée (article 577-7, § 1er, 2°, h), du même Code).

B.3.2. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s'oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu'apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.3.3. L'assouplissement du processus décisionnel entre copropriétaires, dans certains cas, lorsqu'il s'agit de décider la démolition et la reconstruction de l'immeuble constitue une mesure pertinente pour éviter qu'un ou plusieurs copropriétaires puissent bloquer certaines décisions qui sont nécessaires pour garantir la salubrité ou la sécurité de l'immeuble ou pour mettre celui-ci en conformité aux dispositions légales. Le simple constat que, dans certains cas, à savoir lorsque l'immeuble compte moins de cinq lots, un seul copropriétaire peut encore bloquer de telles décisions ne peut en soi porter atteinte à la justification raisonnable de la mesure. En effet, l'éventualité de votes négatifs est inhérente à chaque exigence de majorité.

Pour des motifs analogues, le constat que la quote-part de certains copropriétaires dans les parties communes n'est pas quitte et libre de toute charge ne saurait porter atteinte à la justification raisonnable de la mesure. Le législateur peut en effet prévoir des règles générales de majorité, sans avoir chaque fois à prévoir des exceptions ou des règles dérogatoires dans des situations particulières et dans des hypothèses spécifiques.

Enfin, la différence de traitement entre les copropriétaires relevant du régime de droit commun de la copropriété forcée et les copropriétaires relevant du droit des appartements est raisonnablement justifiée par l'objectif spécifique du législateur qui consiste à contribuer à la transition d'immeubles à appartements vétustes vers un parc immobilier moderne et durable.

B.3.4. Le premier moyen, en sa première branche, n'est pas fondé.

B.4.1. Dans la deuxième branche du premier moyen, la partie requérante dénonce une ingérence discriminatoire dans le droit de propriété.

B.4.2. L'article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens.

Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ».

B.4.3. L'article 1er du Protocole précité offre une protection non seulement contre une expropriation ou une privation de propriété (premier alinéa, seconde phrase) mais également contre toute ingérence dans le droit au respect des biens (premier alinéa, première phrase) et contre toute réglementation de l'usage des biens (second alinéa).

L'assouplissement du processus décisionnel entre copropriétaires, prévu par la disposition attaquée, lorsqu'il s'agit de décider de la démolition ou de la reconstruction totale d'un immeuble à appartements règle « l'usage des biens conformément à l'intérêt général », au sens de l'article 1er, second alinéa, du Premier protocole additionnel, et relève donc du champ d'application de cette disposition conventionnelle.

B.4.4. Toute ingérence dans le droit de propriété doit réaliser un juste équilibre entre les impératifs de l'intérêt général et ceux de la protection du droit au respect des biens. Il faut qu'existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.

B.4.5. Il ressort des travaux préparatoires cités en B.1.4 que la mesure attaquée tend, par un assouplissement du processus décisionnel entre copropriétaires, à stimuler la rénovation du parc immobilier vétuste, à accélérer sa mise en conformité aux normes légales et à augmenter ainsi la qualité de vie et la sécurité des habitants. Cette mesure poursuit donc un objectif légitime dicté par l'intérêt général.

B.4.6. Il ressort du texte de la disposition attaquée que la décision de démolition ou de reconstruction totale d'un immeuble doit, en règle générale, être prise à l'unanimité des voix par l'assemblée générale des copropriétaires. Le législateur n'a dérogé à ce principe que dans trois cas exceptionnels : lorsque la nécessité d'une telle décision est motivée par des raisons de salubrité ou de sécurité de l'immeuble ou par le coût excessif par rapport à la valeur de l'immeuble existant d'une mise en conformité de l'immeuble aux dispositions légales.

B.4.7. Tout copropriétaire peut demander au juge d'annuler ou de réformer une décision irrégulière, frauduleuse ou abusive prise par l'assemblée générale si elle lui cause un préjudice personnel. Cette action doit être intentée dans un délai de quatre mois, à compter de la date à laquelle l'assemblée générale a eu lieu (article 577-9, § 2, du Code civil). Le juge de paix contrôle ainsi la décision prise par l'assemblée générale (article 591, 2°bis, du Code judiciaire). A cet égard, il ne peut statuer en opportunité, mais il peut ordonner la nullité de la décision s'il estime que l'ingérence dans le droit de propriété de certains propriétaires n'est pas proportionnée à l'objectif poursuivi. Dans ce cadre, il doit notamment tenir compte, d'une part, du préjudice qui découle de la restriction de propriété pour les propriétaires et pour d'autres intéressés et, d'autre part, de la gravité des intérêts en cause en matière de salubrité et de sécurité et du caractère contraignant du respect des normes légales.

Le juge de paix peut aussi modifier la décision et fixer la compensation lorsqu'un copropriétaire abandonne son lot sans qu'un commun accord ait été conclu sur cette compensation.

B.4.8. Le législateur n'a tempéré le principe de l'unanimité des voix que dans une mesure limitée. La décision de démolition ou de reconstruction totale d'un immeuble requiert toujours une majorité des quatre cinquièmes des voix, alors qu'une majorité des deux tiers des voix suffit en ce qui concerne certaines autres décisions.

En outre, chaque copropriétaire peut, en vertu de la disposition attaquée, abandonner son lot en faveur des autres copropriétaires, si la valeur de celui-ci est inférieure à la quote-part qu'il devrait prendre en charge dans le coût total des travaux. Cet abandon peut, le cas échéant, « dans un souci d'équilibre entre les intérêts en présence » (Doc. parl., Chambre, 2017-2018, DOC 54-2919/001, p. 216) être assorti d'« une compensation fixée de commun accord ou par le juge » (article 577-7, § 1er, 2°, h), deuxième phrase, du Code civil).

B.4.9. Il ressort de ce qui précède que le législateur a tenu compte de l'intérêt du copropriétaire qui s'oppose à la décision de démolition ou de reconstruction totale de l'immeuble. Afin d'instaurer un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et celles de la protection du droit au respect des biens, le législateur doit toutefois, eu égard à l'importance de l'ingérence dans le droit de propriété, prévoir des garanties supplémentaires.

Etant donné que la disposition attaquée peut avoir pour effet de contraindre un copropriétaire à renoncer à son droit de propriété, il doit être prévu que l'association des copropriétaires saisisse, de sa propre initiative, le juge de paix de sa décision, par dérogation à l'article 577-9, § 2, précité, du Code civil et que le juge de paix puisse contrôler la légalité de cette décision et, le cas échéant, demander l'avis d'un expert sur le caractère approprié du montant de la compensation.

B.4.10. Dans cette mesure, le premier moyen, en sa deuxième branche, est fondé.

B.5. Etant donné que la disposition attaquée constitue un ensemble indissociable, celle-ci doit dès lors être annulée entièrement.

Par conséquent, les autres moyens ne doivent pas être examinés.

Par ces motifs, la Cour annule l'article 167, 7°, de la loi du 18 juin 2018Documents pertinents retrouvés type loi prom. 18/06/2018 pub. 02/07/2018 numac 2018012858 source service public federal justice Loi portant dispositions diverses en matière de droit civil et des dispositions en vue de promouvoir des formes alternatives de résolution des litiges fermer « portant dispositions diverses en matière de droit civil et des dispositions en vue de promouvoir des formes alternatives de résolution des litiges ».

Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 20 février 2020.

Le greffier, Le président, F. Meersschaut A. Alen

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