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Arrêt
publié le 23 décembre 2020

Extrait de l'arrêt n° 123/2020 du 24 septembre 2020 Numéro du rôle : 7217 En cause : le recours en annulation de l'article 19 de la loi du 2 mai 2019 « portant des dispositions fiscales diverses 2019-I. », introduit par Raf Geurts. La Cour composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Moerman, T. Merckx-Van(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 123/2020 du 24 septembre 2020 Numéro du rôle : 7217 En cause : le recours en annulation de l'article 19 de la loi du 2 mai 2019Documents pertinents retrouvés type loi prom. 02/05/2019 pub. 15/05/2019 numac 2019012436 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales diverses 2019-I. type loi prom. 02/05/2019 pub. 27/05/2021 numac 2021041360 source service public federal interieur Loi portant des dispositions fiscales diverses 2019-I fermer « portant des dispositions fiscales diverses 2019-I. », introduit par Raf Geurts.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Moerman, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman et M. Pâques, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 20 juin 2019 et parvenue au greffe le 21 juin 2019, Raf Geurts, assisté et représenté par Me H. Vandebergh et Me A. Lewandowski, avocats au barreau du Limbourg, a introduit un recours en annulation de l'article 19 de la loi du 2 mai 2019Documents pertinents retrouvés type loi prom. 02/05/2019 pub. 15/05/2019 numac 2019012436 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales diverses 2019-I. type loi prom. 02/05/2019 pub. 27/05/2021 numac 2021041360 source service public federal interieur Loi portant des dispositions fiscales diverses 2019-I fermer « portant des dispositions fiscales diverses 2019-I. » (publiée au Moniteur belge du 15 mai 2019). (...) II. En droit (...) B.1.1. En vertu de l'article 133, § 1er, de l'arrêté royal du 27 août 1993 « d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 » (ci-après : l'AR/CIR 1992), les cotisations fiscales « sont portées aux rôles au nom des redevables intéressés ». Une cotisation fiscale enrôlée au nom d'une personne autre que le redevable est donc nulle (Cass., 18 juin 2009, F.08.0034.F).

Ni le Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992) ni l'AR/CIR 1992 ne déterminent qui est le redevable de l'impôt perçu dans le chef d'une société liquidée. Ce redevable doit dès lors être déterminé selon les règles du droit des sociétés.

B.1.2. En vertu de l'article 183, § 1er, du Code des sociétés, une société est, après sa dissolution, réputée exister pour sa liquidation. En vertu de l'article 2:76 du Code des sociétés et des associations, une société est, après sa dissolution, réputée exister pour sa liquidation jusqu'à la clôture de celle-ci. La société en liquidation conserve donc sa personnalité juridique entre la dissolution et la clôture de la liquidation.

Par contre, la clôture de la liquidation entraîne la perte de la personnalité juridique (Cass., 14 février 2012, P.11.1181.N). Une fois la liquidation clôturée, la société cesse d'exister, elle n'est plus un sujet de droit et elle n'a plus ni siège social, ni patrimoine, ni organes. Partant, elle ne peut plus être poursuivie en justice.

B.1.3. Pour protéger les droits des créanciers de la société liquidée, l'article 198, § 1er, troisième tiret, du Code des sociétés et l'article 2: 143, § 1er, cinquième tiret, du Code des sociétés et des associations prévoient que les créanciers peuvent encore se retourner contre la société, en la personne de son liquidateur, dans les cinq années qui suivent la publication de la clôture de la liquidation aux annexes du Moniteur belge.

En vertu de ces dispositions, le liquidateur ne peut être poursuivi par les créanciers de la société qu'en sa qualité de liquidateur. Dès lors qu'une action introduite sur la base de ces dispositions est dirigée, par une fiction juridique, contre la société liquidée, pour des dettes nées à l'époque où la société existait encore, le liquidateur ne doit pas assumer ces dettes sur son patrimoine personnel.

B.1.4. Eu égard à ce qui précède, si, à la suite d'un contrôle postérieur à la clôture de la liquidation d'une société, l'administration fiscale établit une cotisation à l'impôt des sociétés à charge de la société comme redevable, elle doit enrôler cette cotisation au nom du liquidateur de cette société.

B.2.1. L'article 19, attaqué, de la loi du 2 mai 2019Documents pertinents retrouvés type loi prom. 02/05/2019 pub. 15/05/2019 numac 2019012436 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales diverses 2019-I. type loi prom. 02/05/2019 pub. 27/05/2021 numac 2021041360 source service public federal interieur Loi portant des dispositions fiscales diverses 2019-I fermer « portant des dispositions fiscales diverses 2019-I. » (ci-après : la loi du 2 mai 2019) modifie l'article 357 du CIR 1992, qui fait partie des dispositions contenues dans ce Code qui règlent les délais d'imposition lors de l'établissement et du recouvrement des impôts sur les revenus. B.2.2. La partie requérante est impliquée dans un litige qui l'oppose à l'administration fiscale dans le cadre de la liquidation d'une société. L'administration fiscale ayant enrôlé la cotisation à l'impôt des sociétés au nom de la société liquidée et non au nom du liquidateur de celle-ci, cette cotisation a été annulée par le juge.

B.2.3. L'article 356 du CIR 1992 dispose : « Lorsqu'une décision du directeur des contributions ou du fonctionnaire délégué par lui fait l'objet d'un recours en justice, et que le juge prononce la nullité totale ou partielle de l'imposition pour une cause autre que la prescription, la cause reste inscrite au rôle pendant six mois à dater de la décision judiciaire. Pendant ce délai de six mois qui suspend les délais d'opposition, d'appel ou de cassation, l'administration peut soumettre à l'appréciation du juge par voie de conclusions, une cotisation subsidiaire à charge du même redevable et en raison de tout ou partie des mêmes éléments d'imposition que la cotisation primitive.

Si l'administration soumet au juge une cotisation subsidiaire dans le délai de six mois précité, par dérogation à l'alinéa premier, les délais d'opposition, d'appel et de cassation commencent à courir à partir de la signification de la décision judiciaire relative à la cotisation subsidiaire.

Lorsque l'imposition dont la nullité est prononcée par le juge, a donné lieu à la restitution d'un précompte ou d'un versement anticipé, il est tenu compte de cette restitution lors du calcul de la cotisation subsidiaire soumise à l'appréciation du juge.

La cotisation subsidiaire n'est recouvrable ou remboursable qu'en exécution de la décision du juge.

Lorsque la cotisation subsidiaire est établie dans le chef d'un redevable assimilé conformément à l'article 357, cette cotisation est soumise au juge par requête signifiée au redevable assimilé avec assignation à comparaître ».

B.2.4. Avant l'entrée en vigueur de la disposition attaquée, l'administration fiscale ne pouvait pas soumettre de cotisation subsidiaire valable au juge après l'annulation de la cotisation fiscale, pour le motif mentionné en B.2.2. L'article 356 du CIR 1992 exige en effet que la cotisation subsidiaire soit soumise à ce juge « à charge du même redevable » que la cotisation annulée. Si l'administration fiscale enrôlait une cotisation subsidiaire à charge du liquidateur, cette cotisation devrait donc être annulée pour le même vice que la cotisation initiale.

B.2.5. Si l'article 357 du CIR 1992 assimile certaines catégories de personnes au redevable de la cotisation initiale visé à l'article 356 du même Code, cette disposition n'assimilait pas la société liquidée à son liquidateur. Dans sa version applicable avant sa modification par la disposition attaquée, l'article 357 du CIR 1992 était en effet libellé comme suit : « Pour l'application des articles 355 et 356, sont assimilés au même redevable : 1° les héritiers du redevable;2° son conjoint;3° selon le cas, la société qui a procédé à une fusion, scission, opération assimilée à une fusion ou autre dissolution sans partage total de l'avoir social, et la société absorbante ou bénéficiaire ou les sociétés bénéficiaires de l'opération;4° les membres de la famille, de la société, de l'association ou de la communauté dont le chef, le directeur, les actionnaires ou les associés ont été primitivement imposés et réciproquement ». B.2.6. C'est pour cette raison que la disposition attaquée complète l'article 357 du CIR 1992 en assimilant le liquidateur à la personne morale liquidée, comme redevable. Le nouvel article 357, 5°, du CIR 1992 dispose : « Pour l'application des articles 355 et 356, sont assimilés au même redevable : [...] 5° le liquidateur de la personne morale dont la liquidation a été clôturée, en cette qualité, ou, à défaut, les personnes considérées comme liquidateurs en vertu de la partie 1re, livre 2, titre 8 du Code des sociétés et des associations, au cours de la période prévue par l'article 2:143, du même Code ». B.2.7. Dans les travaux préparatoires, la disposition attaquée est justifiée comme suit : « Avec l'arrêt de la Cour d'appel d'Anvers du 27 juin 2017 il a été statué que les impositions effectuées au nom d'une société liquidée étaient en fait adressées à une société qui n'existait plus et que de telles impositions devaient être effectuées au nom du liquidateur, en sa qualité de liquidateur de la société liquidée. Aucun pourvoi en cassation n'était possible contre cet arrêt.

Dans l'article 355, CIR 92, la possibilité a été offerte, en cas d'annulation d'une imposition dans une décision rendue à la suite d'une réclamation, de proposer une cotisation de remplacement tenant compte du motif de l'annulation pour un motif autre que la prescription. Lorsqu'une décision judiciaire annule une imposition pour un motif autre qu'une prescription, conformément à l'article 356, CIR 92, une cotisation subsidiaire peut être soumise au juge sous la forme de conclusions. Dans les deux cas, la condition est que les nouvelles cotisations en cause doivent être établies sur la base des mêmes éléments fiscaux et à l'encontre du même contribuable. L'article 357, CIR 92 détermine qui peut être considéré comme le même contribuable.

En l'état actuel de la législation, en application de l'article 357, CIR 92, le liquidateur ' qualitate qua ' ne peut être considéré comme le même contribuable au sens des articles 355 et 356, CIR 92. Dans la loi du 11 décembre 2008Documents pertinents retrouvés type loi prom. 11/12/2008 pub. 12/01/2009 numac 2009003004 source service public federal finances Loi modifiant le Code des impôts sur les revenus 1992 en vue de le mettre en concordance avec la Directive 90/434/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'Etats membres différents ainsi qu'au transfert de siège statutaire d'une SE ou dune SCE d'un Etat membre à un autre, modifiée par la Directive 2005/19/CE du Conseil du 17 février 2005 type loi prom. 11/12/2008 pub. 26/08/2009 numac 2009000552 source service public federal interieur Loi modifiant le Code des impôts sur les revenus 1992 en vue de le mettre en concordance avec la Directive 90/434/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'Etats membres différents ainsi qu'au transfert de siège statutaire d'une SE ou d'une SCE d'un Etat membre à un autre, modifiée par la Directive 2005/19/CE du Conseil du 17 février 2005. - Traduction allemande fermer (Moniteur belge du 12 janvier 2009) il a déjà été inséré une disposition semblable régissant par exemple les sociétés acquises à la suite d'une fusion.

L'article 357, CIR 92 est également modifié afin d'y ajouter le liquidateur ' qualitate qua ' à la liste des personnes assimilées au contribuable dans le cadre de l'enrôlement d'une cotisation subsidiaire ou de remplacement établie suite à l'annulation d'une cotisation par une décision judiciaire ou administrative.

L'enrôlement au nom du liquidateur ' qualitate qua ' ne crée aucune obligation supplémentaire pour le liquidateur en son nom personnel » (Doc. parl., Chambre. 2018-2019, DOC 54-3699, pp. 7-8).

B.2.8. Du fait de la disposition attaquée, l'administration fiscale peut désormais soumettre une cotisation subsidiaire valable à charge du liquidateur au juge qui a annulé la cotisation fiscale initiale parce qu'elle avait été enrôlée à tort au nom de la société liquidée.

B.3.1. La partie requérante et la partie intervenante souscrivent à l'objectif poursuivi par l'article 19 de la loi du 2 mai 2019Documents pertinents retrouvés type loi prom. 02/05/2019 pub. 15/05/2019 numac 2019012436 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales diverses 2019-I. type loi prom. 02/05/2019 pub. 27/05/2021 numac 2021041360 source service public federal interieur Loi portant des dispositions fiscales diverses 2019-I fermer. Leurs griefs se limitent à l'effet dans le temps de la disposition attaquée.

B.3.2. Le premier moyen est pris de la violation, par la disposition attaquée, des articles 10 et 11, lus en combinaison avec l'article 170, § 1er, de la Constitution, avec le principe de légalité en matière fiscale, avec le principe de sécurité juridique et avec le principe de prévisibilité minimale de la loi fiscale, en ce que, dans des litiges fiscaux pendants, cette disposition donnerait un fondement à une cotisation subsidiaire qui, sans cela, n'aurait pas de fondement légal.

Le deuxième moyen est pris de la violation, par la disposition attaquée, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la non-rétroactivité des lois et avec l'article 2 (actuellement article 1er) du Code civil, en ce qu'elle aurait une incidence rétroactive sur des litiges pendants.

Le troisième moyen est pris de la violation, par la disposition attaquée, de l'article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, avec le principe de la sécurité juridique, avec le principe de la non-rétroactivité des lois et avec l'article 2 (actuellement article 1er) du Code civil, en ce que la disposition attaquée affecterait rétroactivement des droits acquis.

Le quatrième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la séparation des pouvoirs et avec le principe de l'Etat de droit, en ce que le législateur interviendrait rétroactivement dans des litiges pendants entre des particuliers et une autorité publique.

Le cinquième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec le principe de bonne administration de la justice, en ce que la disposition attaquée porterait atteinte à l'égalité des armes entre le redevable et le fisc dans un litige pendant.

B.3.3. Ces cinq moyens étant indissociablement liés, ils sont examinés conjointement.

B.3.4. En ce qui concerne le cinquième moyen, il y a lieu d'observer que l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme n'est pas applicable aux litiges fiscaux non pénaux (CEDH, 12 juillet 2001, Ferrazzini c. Italie). Le droit à un procès équitable est néanmoins également garanti par un principe général de droit.

B.4.1. Les opinions des parties diffèrent quant à la qualification de l'effet dans le temps de la disposition attaquée. Selon la partie requérante et la partie intervenante, elle a une incidence rétroactive sur des litiges pendants et elle affecte des droits acquis. Selon le Conseil des ministres, en revanche, elle a un effet immédiat et doit être appliquée comme règle de procédure dans des litiges pendants.

B.4.2. La disposition attaquée porte sur la désignation des catégories de redevables. Contrairement à ce qu'affirme le Conseil des ministres, elle doit être considérée comme une règle de droit fiscal matériel et non comme une règle de procédure fiscale.

B.4.3. L'effet immédiat d'une norme implique que la norme est applicable non seulement aux situations qui naissent à partir de son entrée en vigueur mais aussi aux effets futurs des situations nées sous le régime de la réglementation antérieure qui se produisent ou se prolongent sous l'empire de la réglementation nouvelle, pour autant que cette application ne porte pas atteinte à des droits déjà irrévocablement fixés.

Une règle doit être qualifiée de rétroactive si elle s'applique à des faits, actes et situations qui étaient définitivement accomplis au moment où elle est entrée en vigueur.

B.5.1. La disposition attaquée a été publiée au Moniteur belge du 15 mai 2019 et est entrée en vigueur le 25 mai 2019. Elle ne comporte pas de mesures transitoires.

Elle est donc applicable non seulement lorsque le juge annule une cotisation fiscale après le 25 mai 2019 parce qu'elle avait été enrôlée au nom d'une société liquidée, mais aussi dans les litiges pendants dans lesquels le juge fiscal avait déjà annulé la cotisation fiscale initiale avant le 25 mai 2019 mais dans lesquels le délai de six mois pour l'établissement d'une cotisation subsidiaire, visé à l'article 356 du CIR 1992, n'avait pas encore expiré.

B.5.2. La disposition attaquée modifie une des conditions auxquelles l'administration fiscale peut établir une cotisation fiscale subsidiaire après que le juge a prononcé la nullité totale ou partielle de l'imposition pour un motif autre que la prescription.

Dans ce cas, la cause reste inscrite au rôle pendant un délai de six mois, à compter de la décision judiciaire, afin de permettre à l'administration fiscale d'établir une nouvelle cotisation. Pendant ce temps, les délais d'opposition, d'appel ou de cassation sont suspendus.

B.6.1. En ce qu'elle est applicable aux procédures dans lesquelles le juge annule la cotisation fiscale initiale après le 25 mai 2019, parce qu'elle avait été enrôlée au nom de la société liquidée, la disposition attaquée n'a pas d'effet rétroactif.

B.6.2. La disposition attaquée n'a pas non plus d'effet rétroactif lorsqu'elle est appliquée dans des affaires dans lesquelles le juge a, pour la raison précitée, annulé la cotisation fiscale initiale avant le 25 mai 2019 et dans lesquelles le délai de six mois durant lequel la cause reste inscrite au rôle n'a pas encore expiré. Dans ces affaires, le juge a prononcé un jugement interlocutoire et a donné à l'administration fiscale la possibilité de soumettre une cotisation subsidiaire à son appréciation dans ce délai, de sorte qu'aucune situation définitive de dégrèvement de l'impôt dû n'est née.

L'application de la disposition attaquée n'a pas pour effet, dans ce cas, de porter atteinte à des droits irrévocablement fixés.

B.6.3. Ainsi, la disposition attaquée ne s'applique pas à des faits, actes et situations qui étaient définitivement accomplis au moment où elle est entrée en vigueur et elle ne saurait être qualifiée de rétroactive.

B.6.4. Partant, les moyens ne sont pas fondés en ce qu'il est allégué que la disposition attaquée aurait une incidence rétroactive sur des litiges pendants et qu'elle porterait atteinte à des droits acquis.

B.6.5. Bien qu'elle n'ait pas d'effet rétroactif, la disposition attaquée influence l'issue de procédures judiciaires dans un certain sens.

Il appartient en principe au législateur de régler l'entrée en vigueur d'une loi nouvelle et de décider de prévoir ou non des mesures transitoires. Les articles 10 et 11 de la Constitution ne sont violés que si la date d'entrée en vigueur établit une différence de traitement dépourvue de justification raisonnable ou s'il est porté une atteinte disproportionnée au principe de confiance.

Le principe de confiance est étroitement lié au principe de la sécurité juridique, qui interdit au législateur de porter atteinte sans justification objective et raisonnable à l'intérêt que possèdent les sujets de droit d'être en mesure de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes.

B.7.1. La possibilité d'établir une cotisation fiscale subsidiaire est justifiée, selon le législateur, en ce qu'il « est de justice élémentaire que tout contribuable paie sa redevance à l'Etat même si l'agent de l'administration a commis quelque erreur de procédure » (Doc. parl., Chambre, 1946-1947, n° 407, p. 59).

De même, « [lorsque] l'administration a commis une erreur dans l'application des lois, la juste répartition des charges fiscales ne doit pas en être influencée, sauf si le contribuable a acquis le bénéfice de la forclusion » (Doc. parl., Chambre, 1946-1947, n° 59, pp. 24-25).

Il s'agit d'une obligation pour l'administration fiscale dès que les conditions prescrites à cet égard sont remplies, étant donné qu'elle n'est pas libre de renoncer au recouvrement des impôts dus (Cass., 5 septembre 1967, Pas., 1968, I, p. 22).

B.7.2. Il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.2.7 que, par la disposition attaquée, le législateur visait à permettre la perception des impôts légalement dus et à remédier à l'insécurité juridique née d'une évolution dans la jurisprudence. Cette insécurité juridique était d'autant plus grande que la jurisprudence des juridictions fiscales ne vaut qu'entre parties.

Ni le fait que certains redevables aient pu espérer bénéficier de la jurisprudence de certaines juridictions, ni l'existence de litiges pendants n'ont en soi pour effet que le législateur serait dans l'impossibilité de protéger les intérêts des finances publiques et de remédier à une situation d'insécurité juridique.

B.7.3. Les liquidateurs visés dans la disposition attaquée ne pouvaient pas légitimement escompter qu'après l'annulation de la cotisation initiale qui avait été enrôlée à tort au nom de la société liquidée, aucune cotisation subsidiaire ne serait établie, même si une modification législative était d'abord nécessaire pour cela.

Ils pouvaient en effet raisonnablement s'attendre à ce que le législateur prenne, en raison d'une évolution dans la jurisprudence, des mesures destinées à éviter que certains contribuables jouissent d'un avantage fiscal dont d'autres contribuables seraient privés.

L'établissement d'une cotisation dans les cas où l'impôt est dû en vertu de la loi constitue, pour l'administration, une obligation censée garantir l'égalité des citoyens devant la loi fiscale et préserver les intérêts des finances publiques.

B.7.4. La disposition attaquée ne permet pas à l'administration fiscale d'ajouter des éléments à la base imposable. En vertu de l'article 356 du CIR 1992, la cotisation subsidiaire doit en effet se fonder sur « tout ou partie des mêmes éléments d'imposition » que la cotisation initiale.

Du reste, cette cotisation subsidiaire n'est pas envoyée au redevable, mais est soumise au juge qui a annulé la cotisation initiale, sous la forme de conclusions. Ce juge a pleine juridiction et vérifie non seulement si la cotisation subsidiaire satisfait à toutes les conditions de forme, mais aussi si l'impôt enrôlé est effectivement dû et si l'administration fiscale en a calculé le montant correctement.

B.7.5. Enfin, l'effet dans le temps de la disposition attaquée n'a pas des conséquences disproportionnés pour la liquidateur concerné. Elle n'est applicable qu'aux litiges futurs et aux litiges dans lesquels la cotisation initiale avait déjà été annulée avant le 25 mai 2019 mais dans lesquels le délai de six mois pour établir une cotisation subsidiaire n'avait pas encore expiré à cette date. Elle ne peut donc pas être appliquée dans les affaires dans lesquelles la cotisation initiale avait déjà été annulée plus de six mois auparavant. Elle ne peut pas non plus être appliquée dans les affaires dans lesquelles le juge avait annulé la cotisation initiale dans un jugement définitif avant cette date, avec pour argument qu'aucune cotisation subsidiaire valable n'était possible dans l'état de la législation à l'époque.

En outre, le liquidateur ne peut être poursuivi qu'en sa qualité de liquidateur. En principe, il ne doit pas assumer la dette fiscale de la société liquidée sur son patrimoine personnel. Tel ne serait le cas que si, dans le cadre d'une action en responsabilité, un juge devait constater un manquement dans son administration ou si un juge devait prononcer la nullité de la liquidation.

B.8. Les moyens ne sont pas fondés.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours.

Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 24 septembre 2020.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, A. Alen

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